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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/399

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Fourier le déclare, il faut sortir de la civilisation : le bonheur ne se trouve que dans le règne animal. Là, point de gêne, point de contrainte, point de morale ni de politique ; le travail est un instinct, l’industrie un plaisir. Partout où l’homme est soumis à l’empire de la nature, il est en même temps heureux et puissant. L’œuvre de la reproduction s’accomplit dans les ravissemens de l’amour ; ce sont des joies maternelles que les soins fastidieux et dégoûtans réclamés par l’éducation de l’enfance. Les plus pénibles travaux de la chasse, de la guerre, de la science, de l’art, ont leurs plaisirs ; les plus hideuses occupations peuvent présenter un attrait. Fourier excelle dans l’observation de l’animalité, soit de la brute, soit de l’homme ; il est doué du génie des choses vulgaires, il recherche et saisit tous les cas où les passions de l’homme s’identifient avec l’industrie ; il parle de rois adonnés à la serrurerie, à la menuiserie, à la vente du poisson, à la fabrication de la cire à cacheter. Ce sont là des exceptions dans la société, et cependant l’identification du plaisir et du travail est la loi universelle dans la nature. Rendre l’homme à la nature, de sorte que l’essor continu des passions enfante tous les bienfaits de l’industrie, tel est le problème de Charles Fourier. S’il n’y a pas de corrélation, dit-il, entre nos instincts et notre industrie, on doit désespérer de l’humanité comme on désespère de la civilisation ; si cette corrélation, si cette harmonie existent, on ne doit les chercher ni dans la politique, ni dans la morale, ni dans la religion ; on doit les chercher dans une nouvelle invention, dans un instrument nouveau, et cet instrument, Fourier le propose c’est le phalanstère. On sait que le phalanstère est à la fois un palais et une commune, où se réunissent seize cent vingt personnes, ou quatre cents familles. Elles y trouvent des ateliers, des terres, des machines, tous les instrumens du travail, elles s’associent en commandite, elles restent complètement libres de faire tout ce qui leur passe par l’esprit, et il se trouve que, par la force de nos instincts, le travail se change en plaisir, la passion en industrie, l’intérêt devient la justice la plus rigoureuse, et les richesses se multiplient dans une proportion effrayante. Qu’un seul de ces palais soit établi, et les bénéfices seront si exorbitans, les jouissances si vives, le bonheur si extraordinaire, que toutes les communes de la terre se transformeront sur-le-champ en phalanstères. « Pendant cette phase, dit Fourier, chaque année vaudra des siècles d’existence et offrira une foule d’évènemens si surprenans, qu’il ne convient pas de les faire entrevoir sans préparation. Les esprits des civilisés se soulèveraient si on leur exposait sans précautions la perspective des délices dont ils vont jouir sous très peu de temps, car il faudra à peine deux ans pour organiser chaque canton sociétaire, et à peine six ans pour achever l’organisation du globe entier, en supposant les plus longs délais possibles. »

Le plan de Fourier est très simple : il se réduit, on le sait, à changer le mobilier du globe, à substituer des palais-communes à toutes les villes et bourgades du monde. Où donc trouver la garantie de toutes les merveilles promises par le phalanstère ? Quel est le principe de la nouvelle invention ? C’est ici le moment décisif de la doctrine de Fourier ; le reste n’est qu’une affaire