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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/400

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de logique : si la preuve ici résiste à la critique, Fourier est le plus grandi de tous les hommes ; mais point de milieu entre une révélation et un délire. Écartons d’abord les équivoques : le bonheur annoncé par Fourier ne tient pas à l’architecture du phalanstère ; cette architecture sera commode, utile, prodigieuse, si l’on veut, mais les murailles du phalanstère ne renferment aucun sortilège pour transformer la société. Le principe d’association n’explique pas non plus le phalanstère : l’association ne supprime ni les ennuis du travail ni les contraintes morales. La nature, dit Fourier, repousse ce simplisme de l’association ; les familles nombreuses s’irritent, se subdivisent chaque jour malgré les avantages incontestables de la vie commune. La critique de la société ne conduit pas non plus au phalanstère. Que la critique de Fourier soit vraie ou fausse, superficielle ou profonde, il n’y a aucun lien entre l’énumération de nos douleurs et la toute-puissance attribuée à la nouvelle commune de seize cent vingt habitans.

Si le phalanstère ne se justifie ni par sa construction, ni par l’association, ni par la critique de la société, quel en sera donc le principe ? Apparemment ce principe est dans la nature : en effet, autant Fourier a outré la critique de la société, autant il exagère l’apologie de la nature ; dans la civilisation, il ne voit que le mal, comme si elle était l’œuvre du bourreau ; dans la nature, il ne voit que le bien, comme si elle était le paradis, il insiste sur une vérité vulgaire, il montre que l’instinct est infaillible, qu’il est sanctifié sans cesse par le plaisir ; il montre que l’industrie animale est attrayante, et il en conclut que les instincts, les attractions, sont proportionnelles aux destinées, et que le bonheur est la vocation de tous les êtres. Le fait isolé était vrai, la généralisation est démentie par tous les faits. La nature est ensanglantée sur tous les points ; il est des races qui disparaissent, la vie se nourrit de la mort ; tout être vivant sort armé des mains de la nature pour exercer la destruction ; c’est le sacrificateur prédestiné d’une myriade d’êtres vivans, il ne connaît pas lui-même ses propres victimes. Par une contradiction fatale, en même temps que l’instinct est proportionnel à la destinée, tous les instincts sont en désaccord avec toutes les destinées. La guerre est donc naturelle ; l’opposition, l’antithèse entre la nature et la civilisation est donc factice, d’autant plus que Fourier fait abstraction du principe de l’art, la pensée. Le principe fouriériste, absent de la nature, est-il dans la Providence ? L’idée d’une bonté infinie ne change pas les faits qui sont devant nous ; le sang coule, et puisque le phalanstère se place au milieu de la lutte des élémens dans une nature sacrifiée, il ne se justifie ni par le spectacle visible de la nature, ni la providence invisible de Dieu.

Fourier s’efforce d’absoudre la nature de l’homme par l’analyse des passions, il les compte, il en trouve douze : les cinq sens d’abord, ensuite l’amour, l’amitié, le famillisme, l’ambition ; en troisième lieu, les passions de l’intrigue, de la variabilité, de l’union, en d’autres termes la cabaliste, la papillonne, la composite ; une treizième passion, l’unithéisme, les absorbe toutes. D’après Fourier, les passions ne conduisent pas nécessairement