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la lumière qui brille par un huitième d’exception deviendra la règle universelle de la création. Le Christ l’a promis ; après l’initiation de la chute et du repentir, après la seconde initiation de l’Évangile et de l’amour, la loi sériaire réalisera l’unité universelle annoncée par l’Évangile. Quelle est donc, se demande M. Doherty, cette loi sériaire ? Swedenborg l’a révélée dans la hiérarchie des esprits, Fourier dans la hiérarchie des harmoniens ; elle aboutit à l’omniarche dans le règne aromal, à l’omniarche dans le règne des harmoniens. Or les hommes, pense M. Doherty, sont les esprits sur la terre, les esprits sont les hommes dans le monde aromal ; donc l’omniarche, le vrai omniarche, est le centre hyperarchangélique des deux mondes, le Verbe, le Christ, et, avec un peu de bonne volonté, on verra, d’après M. Doherty, dans l’omniarche amphimondain, la seconde personne de Dieu. Ici la musique cède la place à la lumière, Swedenborg se substitue à Fourier, les anges aux harmoniens, la vision au travail attrayant ; l’hérésie est complète.

Le dernier effort de l’orthodoxie phalanstérienne ressemble à une abjuration. La Phalange vient de reparaître pour calmer les murmures des initiés les plus ardens : c’est donc là qu’il faut chercher la vraie sagesse. La Phalange parle-t-elle de l’industrie attrayante ? Nullement ; elle veut réaliser l’ordre, la liberté, l’association. Y a-t-il donc une théorie qui se propose sciemment le désordre, la tyrannie, la dissolution de la société ? Le but de la Phalange, disent les sages, est identique avec celui de la philosophie et du christianisme ; pourquoi pas avec le but du paganisme ? Néron lui-même n’incendiait Rome que pour la reconstruire mille fois plus splendide. La Phalange a oublié le système de Fourier. Plus de démarcation, s’écrie-t-elle, plus de séparation, plus d’enregistrement, plus de costume phalanstérien, et, sauf un morceau inédit de Fourier, le recueil a justifié son programme. Quant à l’avenir, voici le plan des sages : aujourd’hui, ils ont un journal quotidien pour les profanes, un recueil périodique pour les initiés ; ils sont, disent-ils, dans la période binorganique. Si leurs efforts réussissent, ils seront en mesure de publier des romans-feuilletons qui multiplieront leurs lecteurs. « Le moment venu, les doctrines sociales du journal se liant aux sentimens excités par les manifestations dramatiques du feuilleton (si on gagne les poètes à la théorie), il y aura dans le monde en bloc une conversion immense. Alors l’école proposera l’expérience de l’ordre sociétaire, et la réponse à l’appel se fera comme une explosion. » Voilà donc la baguette du magicien remplacée par le roman-feuilleton. En attendant, les sages sont à la recherche d’une position assez forte pour garantir l’expérience de toutes les entraves, soit d’en haut, soit d’en bas. Nous voilà revenus à ces mémorables discours du trône de la première Phalange, et, tout au rebours de ce qu’on disait il y a treize ans, il s’agit de conquérir la France avant de tenter l’essai sur une commune. S’il est vrai que les sages ont tué les partis, créé le socialisme, trouvé seuls le vrai nœud des questions, gouverné, refait la France par la petite phalange, le moyen d’éviter un cabinet de sages aux prochaines élections ?