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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/437

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et par séries, c’est-à-dire par une hiérarchie rivalisée, engrainée, contrastée, afin d’envelopper la civilisation et de l’écraser. L’hérésiarque imagine une papauté centrale, une opposition permanente, des contrepoids, un journal de polémiques intérieures interdit aux profanes. L’église ainsi constituée doit discuter la doctrine, la développer, organiser le sacerdoce de la pensée, et en même temps analyser les caractères des affiliés pour préparer dans l’avenir l’assortiment passionnel du phalanstère. Arrivé à la conception d’une église phalanstérienne, l’hérésiarque de Toulouse ne garde plus aucun ménagement pour les sages de Paris. M. Considérant est représenté comme le tyran, le Borgia, l’omnivore du fouriérisme ; il a étouffé la discussion, usurpé une autorité absolue, violé les saintes lois du groupe, qui exigent le contrôle. « Je ferai donc, dit l’hérétique à M. Considérant, acte de contre-pivot et de contre-chef, je vous livrerai aux flammes de l’opinion, au démon de la critique ; je vous attacherai au poteau de l’absurde, je vous broyerai dans votre aire, ne vous laissant d’autre issue que la vraie organisation des initiés. Résistez, mes attaques modifieront votre groupe. Je vous créerai quatre contre-poids dans la doctrine de Fourier, dans l’opinion, en m’alliant avec les socialistes et en soulevant tous les initiés qui murmurent. Frère, il faut mourir ou se convertir, se convertir ou mourir il faut[1]. » M. Daurio a échoué dans sa tentative, et le centre directeur a gardé le silence sur l’hérésie de Toulouse.

Il semble, au reste, que le fouriérisme se modifie suivant les climats. Les phalanstériens des États-Unis multiplient les associations ; on parle de la fondation de nouvelles communes, on a peut-être à cette heure réalisé le comptoir communal. Les initiés transtlantiques sont dirigés par des ministres protestans pour la plus grande gloire du christianisme ; est-ce bien là le système de Fourier ? On songe si peu au vrai phalanstère, que les comités américains se réunissent pour spéculer sur les assurances. À Londres, le fouriérisme présente une nouvelle nuance. M. Doherty, le chef des initiés de Londres, s’est aperçu que la magie est la véritable base du fouriérisme, et comme Fourier n’a pas exposé cette partie de son système, il supplée franchement au silence du maître par les révélations de Swedenborg. D’après M. Doherty, l’homme et la nature sont deux manifestations de la lumière spirituelle ; la nature reflète la lumière, l’humanité la réfracte ; un troisième phénomène de diffraction, une troisième révélation de la lumière, se manifestent dans les révélations religieuses des illuminés et des prophètes. L’univers souffre, sept fois sur huit le mal triomphe du bien, les sept huitièmes des animaux nuisent à l’homme, les sept huitièmes de l’humanité sont livrés à la douleur, les religions sont livrées dans la même proportion à l’erreur et à la contradiction, car Dieu se contredit dans les révélations religieuses comme il détruit ses créations dans le règne de l’humanité et de la nature. Il trompe ; par des prophètes comme il tue par des reptiles ; mais l’empire du mal disparaîtra,

  1. Observations critiques sur la doctrine de Fourier, par M. Daurio, 1841.