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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/46

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de l’Angleterre était détournée et ses troupes occupées par les formidables démonstrations d’O’Connell, une espèce de jacquerie s’organisa dans la partie méridionale de la principauté, sur les côtes reculées qui font face à l’Irlande. Le fermier de la route de Carmarthen à Saint-Clare ayant établi, contre le vœu des magistrats locaux, une nouvelle barrière, une trentaine d’hommes barbouillés de noir, sous la conduite d’un chef déguisé en femme, que les siens nommaient Rébecca, vinrent la démolir en plein jour. Relevée plusieurs fois, la barrière fut aussi souvent détruite, et, la colère du peuple s’échauffant par la résistance, les bureaux de péage furent renversés en un instant sur toutes les routes dans le comté de Carmarthen, ainsi que dans les comtés limitrophes de Pembroke, de Glamorgan, de Brecon et de Radnor.

Le pays de Galles, contrée montueuse et d’un difficile accès, a servi long-temps de refuge aux bannis et aux proscrits de l’Angleterre ; mais, depuis plusieurs siècles que la principauté jouit d’un profond repos, on avait le droit de croire que les traditions de la révolte étaient oubliées, et que l’assimilation de cette province au royaume, commencée de bonne heure par les lois, avait été achevée par les mœurs. Eh bien ! ces souvenirs sont encore présens à la mémoire des habitans, qui reprennent, comme s’ils ne l’avaient jamais interrompue, la vie d’aventures. Les exploits de Rébecca ont déjà leur légende ; le goût du merveilleux donne une physionomie particulière aux expéditions nocturnes des Gallois, et une sorte de loyauté chevaleresque relève des épisodes qui semblaient devoir être le fait d’une bande de pillards.

Avant d’attaquer une barrière, Rébecca dénonçait les hostilités. Le garde était sommé de vider les lieux ; on lui donnait le temps de mettre sa famille et son mobilier à l’abri. Malheur à lui, s’il n’obéissait pas ! la bande, en arrivant, cernait la maison, battait le garde, brûlait les meubles, et l’œuvre de destruction commençait. Pendant que les uns, armés de pioches et de leviers, s’occupaient à démolir la barrière, les autres, placés en sentinelles sur la route, faisaient un feu roulant pour éloigner les curieux ; puis, la barrière rasée, chacun tirait à travers champs, et la force armée survenant ne trouvait plus à qui s’en prendre.

Bientôt ce système de dévastation s’étendit aux work-houses ou maisons de charité, autre objet de l’animadversion publique. Les rébeccaïtes pénétrèrent dans la petite ville de Carmarthen, et ne laissèrent que des décombres à la place où s’élevait un de ces édifices