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expresse de conserver le libre exercice de leur culte ; peu à peu cependant ils l’abandonnèrent, et on les vit se convertir insensiblement, mais volontairement, à la loi de Mahomet. Sept à huit siècles plus tard, l’Alpuxarra offrit la contre-partie de cette résistance obstinée : la terre où les derniers chrétiens avaient trouvé un asile servit de refuge aux derniers musulmans, qui s’y défendirent vaillamment et long-temps. Ces agitations incessantes lui ont valu, une place dans l’histoire, et même dans l’art, grace à Calderon, qui a célébré ses héros dans une de ses comédies les plus chevaleresques et les plus amoureuses, (Aimer après la mort ou le Siège de l’Alpuxarra[1].

Me trouvant à Grenade, j’étais curieux de voir par mes yeux cette agreste contrée, si peu visitée, si peu connue, quoique célèbre à tant de titres. Comme elle doit en grande partie sa réputation à la dernière insurrection des Mores, celle du XVe siècle, nous retracerons rapidement les principaux évènemens de ce sanglant débat. Les souvenirs ajouteront ainsi au charme et aux émotions du voyage ; le drame connu, on parcourt le théâtre avec plus d’intérêt.

Après la conquête de Grenade par les rois catholiques, los reyes catolicos (c’est le nom que les Espagnols donnent à Ferdinand et à sa femme Isabelle), le roi vaincu Abu Abdalah, dont nous avons fait Boabdil, obtint des vainqueurs la permission de se retirer avec sa famille et ses richesses dans l’Alpuxarra ; mais il n’y demeura que quelques années, et passa dans le royaume de Fez, où régnait un de ses parens. La capitulation de Grenade assurait aux vaincus le maintien de leur culte, de leur langue, de leurs usages, en un mot de leur nationalité ; ce n’étaient là pourtant que des promesses vaines. Ferdinand était un prince sans foi, Isabelle une reine asservie au confessionnal, et d’ailleurs il était dans les destinées de la Péninsule, dans ses nécessités, d’extirper de son sein jusqu’au dernier rejeton de l’islam, afin de prendre une complète possession de son génie. Le prosélytisme revêtit donc bientôt les caractères de la persécution, et, pour hâter les conversions, le bras séculier vint en aide aux missionnaires ; l’Albaycin, qui était le quartier more de Grenade, se révolta ; l’artillerie du comte de Tendilla eut aisément raison des révoltés, et le baptême fut pour eux la condition du pardon ; les mosquées se transformèrent en églises, mais les nouveaux convertis n’en furent pas pour cela meilleurs chrétiens. Dans les montagnes, l’islamisme fut moins traitable encore, et en ce temps-là déjà l’Alpuxarra se signala par une résistance tellement opiniâtre, que le grand capitaine lui-même, Gonzalve de Cordoue, n’en put triompher. Le roi Ferdinand dut venir en personne étouffer la révolte. De là de nouveaux baptêmes, c’est-à-dire de nouvelles contraintes, et partant d’inévitables hypocrisies. Tout ce qui n’embrassa pas le christianisme fut impitoyablement chassé du royaume. On comprend que des catéchumènes placés entre le bûcher et l’abjuration n’étaient pas des chrétiens fort sincères ; aussi, tout en accomplissant les cérémonies extérieures de l’église,

  1. Amer des pues de la muerte y el sitio de la Alpuxarra. M. Damas Hinard a donné récemment une traduction énergique et fidèle de ce drame de Calderon.