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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/524

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bonne cuillerée. Cette découverte me fit penser que la pourpre, si estimée des anciens Orientaux, qu’ils l’achetaient au poids de l’or, émanait de trois animaux différeras : le murea ordinaire, qui vit toujours au fond de la mer ; la pourpre proprement dite, coquillage imparfait que l’on voit souvent voguer sur l’eau comme un navire, à l’aide d’une membrane qui lui sert de voile, et enfin le ver sans coquille que je viens de décrire[1]. » Laissons au naturaliste anglais l’honneur et la responsabilité de sa découverte ; remarquons seulement que les habitans d’Almérie n’en tirent aucun parti ; bien plus, ils l’ignorent, et l’insecte précieux distille en pure perte sur leurs grèves sa pourpre orientale.

Si jusqu’à présent je n’ai rien dit de la population, c’est que je n’ai rien à en dire ; hidalgos et commerçans m’ont paru peu cultivés, peu sociables, et dépourvus de toute originalité. L’habit des hommes est celui de tout le monde. Les femmes sont restées plus fidèles aux traditions de leurs mères ; la basquine noire est toujours de mode, et les chapeaux du Palais-Royal, ou prétendus tels, n’ont pas encore détrôné la mantille indigène ; on voudrait seulement qu’elle encadrât de plus jolis visages. Je ne parle pas de la chaussure : le soulier quasi-chinois et le bas de soie bien tiré sont le triomphe des Espagnoles de toutes les provinces et de toutes les classes. Comme partout, le paysan a plus de caractère que les citadins, et son costume est assez pittoresque, quoique peu compliqué et singulièrement élémentaire. Rien de plus simple, de plus primitif ; jugez-en. Une tunique de toile qui laisse à nu les jambes, un gilet sans manches, des sandales de sparte nommées alpargatas, une ceinture rouge et un feutre à larges bords, voilà ce costume au grand complet. Encore ne parlé-je ici que du labrador aisé ; le manœuvre ne porte qu’une chemise et un caleçon. Quant aux enfans, je n’ai pas besoin de vous dire qu’ils vont tout nus dans les champs, dans les rues, et se roulent au soleil comme des sauvages de l’Océanie.

Un Irlandais qui a sur le bord de la Méditerranée une assez belle maison m’en fit les honneurs avec beaucoup de cordialité, bien que je ne lui fusse ni connu ni recommandé. Quand je n’étais pas en course, j’étais sur sa terrasse, suivant du regard les tableaux mouvans du port et les navires qui fuyaient à l’horizon comme des oiseaux blancs. Plus la journée avait été brûlante, plus la soirée était fraîche. Mariées ensemble, les brises de terre et de mer confondaient dans l’espace le parfum salin des plantes marines et les émanations plus douces de la vega. C’étaient là vraiment des nuits élyséennes. Le paysage d’ailleurs est admirable, et possède, indépendamment de beautés plus modestes, les deux élémens du sublime dans la nature, les montagnes et l’Océan. On oublie l’Europe dans cette Afrique anticipée ; j’y faisais pour ma part une assez bonne vie, et je l’aurais volontiers prolongée, si l’Alpuxarra ne m’eût réclamé. Il fallait songer enfin à y transporter ma tente.


CHARLES DIDIER.

  1. Introduction a la historia natural y a la geografia fsica de Espana, in-4o, page 164.