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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/539

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une de ces entreprises grandioses qui font époque. L’état économique de la Guyane française est d’ailleurs on ne peut plus favorable à la conception de M. Lechevalier. Les habitans sont si peu nombreux, le territoire approprié est tellement restreint, que l’on conçoit aisément la possibilité de réunir sous une seule direction tous les intérêts de la colonie. Suivant le recensement de 1841, la population sédentaire est de 20,753 personnes ; la population flottante, comprenant les fonctionnaires civils et religieux, les militaires de la garnison et les marins, donne environ 1,250 à 1,300 personnes. Dans le groupe des habitans sédentaires, les libres comptent pour 5,746 ; les esclaves, dont le nombre décroît chaque année, par suite des affranchissemens ou des extinctions, ne sont déjà plus que de 14,997. Un tiers de la population est domicilié dans les villes et dans les bourgs, les deux autres tiers sont disséminés dans les habitations rurales. Parmi la classe qui est en possession de la liberté, il y a 1,203 individus de la race blanche et 4,543 de la race noire. Les blancs, qui sont, par rapport aux hommes de couleur, dans la proportion de 1 à 4, possèdent néanmoins les trois quarts des terres cultivées, des esclaves et des bestiaux : c’est dire que la plupart des nègres réputés libres ne sont que des affranchis abrutis par la fainéantise et le libertinage, et retenus par la misère dans un état de prolétariat qui ne les élève pas beaucoup au-dessus de la servitude.

Sur 5,400,000 hectares que représente la colonie[1], moins de 12,000 sont mis en culture ; c’est environ le dixième des terres acquises par les particuliers : le reste du territoire appartient à l’état. Les propriétés rurales, au nombre de 400 environ, sont aussi inégales en étendue qu’en valeur. Pour une vingtaine de grandes sucreries, qui, avec les ateliers, forment des domaines considérables, on compte un grand nombre de petits champs consacrés à la culture des vivres ou des produits qu’on peut récolter sans beaucoup de frais. La valeur des terres est établie bien moins d’après leur étendue que suivant le genre de préparation qu’elles ont déjà subi. Ainsi, l’hectare approprié à l’exploitation de la canne à sucre vaut 1,000 francs, cinq fois plus que la même étendue cultivée en café, en cacao, en rocou. La valeur moyenne des esclaves est d’environ 1,300 fr. Il résulte de cet aperçu que le capital engagé dans la colonie n’est pas très considérable. Si l’on accepte les comptes annuels, établis probablement sur les rapports de

  1. A ne compter que les régions connues. En comprenant la partie complètement déserte, on aurait une surface beaucoup plus considérable encore.