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Le moyen le plus direct de constater l’état sanitaire de la Guyane est d’interroger les tables de la mortalité. Par suite de l’influence fatale qui pèse sur notre malheureuse colonie, les documens statistiques sont pleins d’erreurs en ce qui la concerne. Prenons pour exemple l’année 1840. M. de Nouvion, acceptant les données du ministère de la marine, établit que la mortalité, pour l’ensemble de la population, a été dans le rapport de 1 à 28, et il triomphe en remarquant que ce rapport est déjà supérieur à celui de plusieurs grandes villes de l’Europe. Il n’a pas remarqué que, dans le tableau officiel[1], une erreur d’addition augmente de 100 le nombre des décès (753 au lieu de 653), et, en second lieu, que le chiffre des vivans ne comprend que la population sédentaire et domiciliée, tandis que le chiffre des décès se rapporte en outre à la population mobile des fonctionnaires civils, des soldats de la garnison, des marins, et peut-être des voyageurs. En recommençant le calcul sur ces bases nouvelles, on trouve que les décès sont au nombre total des habitans dans le rapport de 1 à 33 ou 34, rapport très supérieur aux résultats moyens de la mortalité en Europe. Par suite de l’inadvertance que nous venons de signaler, les employés civils et militaires, qui sont presque tous de race blanche, n’ont pas été comptés parmi les vivans, bien qu’à leur mort ils augmentassent le nombre des décès, de sorte qu’aux yeux des statisticiens la mortalité des blancs a paru excessive. La Notice sur la Guyane[2] l’évalue au vingt-quatrième. D’après nos rectifications appliquées à l’année 1840, la proportion est environ du vingt-neuvième. Si l’on considère enfin que l’équilibre des sexes n’existe pas à la Guyane, et que la prédominance des mâles parmi les blancs comme parmi les noirs réduit le rapport ordinaire des naissances aux décès ; s’il est vrai que l’isolement des habitations paralyse les secours et que diverses causes indépendantes du climat multiplient les accidens mortels, il faudra bien conclure que la Guyane, loin de mériter le reproche d’insalubrité, est au contraire un séjour remarquablement propice.

Une nature si splendide, tant de terres inexploitées, tant de trésors sans emploi, sont bien faits pour enflammer l’imagination et inspirer

  1. Tableaux de population et de culture, etc., pour l’année 1840, publié en 1843 par le ministère de la marine, page 9. — Cette publication est une de celles qui justifient le reproche de négligence que M. Vivien exprimait dernièrement à la tribune.
  2. Publiée en 1838 par le ministère de la marine, reproduite en 1843 par la société de colonisation. — Un vol. in-8o, avec une belle carte de la Guyane, chez Didot.