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intelligente des bras, permettra d’espérer un accroissement notable des produits. Dans ces pays lointains où les concessions de terres sont obtenues très facilement, les établissemens se forment un peu au hasard, suivant les lumières ou les ressources du premier occupant. Le propriétaire, qui réunit forcément les qualités d’agriculteur et d’industriel, consulte moins la nature de ses terres que le nombre des bras et la puissance du matériel à sa disposition : de là une déperdition considérable de forces. Substituée à 400 propriétaires particuliers, la compagnie sera libre d’approprier ses exploitations diverses aux ressources naturelles des localités. Par exemple, au lieu d’une cinquantaine de sucreries grandes et petites, employant environ 5,000 esclaves, on conservera, suivant le plan dont il s’agit, 12 sucreries seulement, en attachant à cette industrie principale près de 2,000 ouvriers de plus : ainsi, au lieu d’avoir par atelier une moyenne de 100 personnes, on réunira 600 ouvriers sur un terrain de premier choix. Un pareil mouvement de concentration s’est opéré déjà, et avec le plus grand avantage, dans la Guyane anglaise, où certaines plantations comptent jusqu’à 1,200 ouvriers. Les 71 cotonneries, disséminées aujourd’hui dans la colonie, seront réduites à dix grands centres, avec un personnel nombreux et des machines que les petits planteurs ne pouvaient pas se procurer. La culture du rocou s’est étendue démesurément, parce qu’elle exige peu de bras et peu de capitaux. Ainsi, quoique la Guyane française ait le monopole de cette graine tinctoriale, la production a dépassé de beaucoup les besoins de l’Europe ; il sera plus avantageux de conserver une dizaine de grandes rocouries après en avoir supprimé une centaine de petites. Les nombreuses vivreries, c’est-à-dire les petits champs consacrés à la culture du manioc, de l’igname, de la banane, du riz, du maïs, seront remplacées avec de grands bénéfices par cinq ou six grandes plantations munies d’instrumens aratoires. Ces remaniemens auront pour effet d’augmenter la masse des produits, d’économiser les frais en simplifiant les manœuvres, de laisser en disponibilité un millier de noirs qu’on pourra appliquer à l’exploitation des bois ou aux défrichemens.

Une compagnie vigilante et armée d’un puissant capital peut opérer des prodiges dans un pays arriéré, en fait de culture et de fabrication, jusqu’à une sorte de sauvagerie. Il est reconnu que quarante nègres, grattant la terre avec la houe, font moins de besogne qu’un seul homme avec une charrue et trois chevaux. Eh bien ! si l’on en croit M. Catineau-Laroche, « à la Guyane française, il n’y a ni charrues, ni brouettes, ni pelles, ni fourches, ni civières, ni charrettes ; les hommes