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M. Guizot une déclaration plus explicite : aussi, son langage a-t-il été remarqué en Angleterre ; une interpellation a eu lieu dans la chambre des lords, et le ministère anglais a soutenu, par l’organe de lord Aberdeen, des principes diamétralement contraires à ceux du gouvernement français. Lord Aberdeen n’admet pas que la France puisse agir isolément en Orient, et exercer son protectorat sur les chrétiens de la Syrie. — Je ne veux pas, dit le ministre anglais, examiner la question de savoir si la France a le droit d’exercer un protectorat général sur les chrétiens du Levant ; dans tous les cas, sur la question de Syrie, elle doit se soumettre à partager ce protectorat avec nous, attendu qu’elle est liée par des engagemens formels. — Ainsi, lord Aberdeen proteste contre la déclaration de M. Guizot, et refuse à la France le droit d’exercer une action distincte et personnelle dans les affaires d’Orient. On peut s’étonner de voir une contradiction aussi manifeste entre les deux cabinets, et sur un point si grave, dans le moment même où leur accord est proclamé plus hautement que jamais. Le même discours de lord Aberdeen pourrait nous fournir d’autres rapprochemens qui prouveraient combien les deux gouvernemens sont loin de s’entendre sur cette question de la Syrie, combien leurs appréciations et leurs vues sont différentes ; mais nous ne voulons pas aujourd’hui pénétrer plus avant dans les mystères de l’entente cordiale. Il nous suffit d’avoir montré que les dernières paroles de M. Guizot sur la question de Syrie ont une signification importante. M. le ministre des affaires étrangères, en déclarant que le rétablissement de l’ancienne administration du Liban est devenu nécessaire, et que la France peut protéger les chrétiens de Syrie sans le concours des puissances, a exprimé une opinion conforme au vœu des chambres. Il a exposé la politique qui convient à la France. En traçant cette politique, il a pris sans doute l’engagement de la suivre ; il s’est imposé des devoirs : nous verrons s’il les remplira.

Pour exercer une influence sérieuse en Orient, il faut que la France soit puissante sur mer, et pour que notre marine soit puissante, il nous faut une administration active, éclairée, qui sache utiliser les ressources consacrées par les chambres aux besoins toujours croissans de la flotte. Cette administration vigilante et habile, que réclame l’intérêt de notre puissance navale, l’avons-nous aujourd’hui ? Consultez là-dessus l’opinion publique, elle vous répondra qu’elle hésite. Interrogez la chambre des députés, la chambre des pairs, elles vous diront qu’elles éprouvent, malgré elles, un sentiment d’inquiétude et de défiance. Au Luxembourg, le rapporteur de la commission du budget, M. le marquis d’Audiffret, a réclamé de promptes réformes dans l’administration de la marine. M. Charles Dupin et l’amiral Grivel sont venus au secours de M. de Mackau ; mais les honorables pairs, habiles à justifier la marine contre des accusations imaginaires, n’ont pas réfuté les reproches sérieux qui lui sont adressés. Personne ne met en doute la probité, l’honneur, le patriotisme de notre administration navale ; ce que l’on conteste, c’est son habileté et sa vigilance. On craint l’empire que peuvent exercer sur elle les préventions bureaucratiques, l’influence de la routine, les préjugés de corps.