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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/580

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On signale le dépérissement de la flotte. On critique l’organisation des arsenaux et des ports, la direction des travaux, le système des constructions, l’emploi et la comptabilité du matériel naval, l’absence d’une pensée supérieure capable de gouverner ce vaste ensemble d’après des règles précises et un plan nettement défini. On s’étonne de voir qu’une question si grave, traitée par un prince de France dans un écrit devenu populaire, semble reléguée par le cabinet au rang des questions de second ordre, étrangères à la politique, et abandonnées aux hommes spéciaux. Ce n’est pas ainsi que les grandes questions administratives sont discutées dans le parlement anglais. À Londres, un débat sur l’organisation de la marine et sur le meilleur système à suivre pour favoriser l’accroissement de la flotte serait soutenu par les principaux orateurs du ministère. Au lieu d’y voir une question technique, on y verrait une question générale, dont la solution engagerait l’existence politique du cabinet. Sir Robert Peel prendrait la parole, et réclamerait l’honneur de défendre lui-même l’administration attaquée. Chez nous, au contraire, depuis le temps où ce débat sur la marine a pris une certaine gravité, M. Guizot a toujours gardé le silence sur cet objet, et M. de Mackau a porté tout le poids de la discussion. On dirait que le ministère a voulu dissimuler l’importance de la question en témoignant pour elle une indifférence factice. On sait que ce moyen ne lui a pas réussi. La chambre des députés, poussée à bout, a fini par perdre patience. Pour stimuler le pouvoir, elle a ordonné une enquête administrative sur l’état de la flotte. Cette enquête, dont les résultats seront publiés l’année prochaine, viendra sans doute démontrer à tous les yeux une vérité bien douloureuse pour la France. Ce sera un remède héroïque qui pourra produire plus de mal que de bien ; mais ceux qui l’ont rendu nécessaire en supporteront la responsabilité.

Des explications sont venues de l’Algérie sur l’affreux épisode qui a signalé l’expédition du Dahra. Nous ne dirons pas que ces explications ont diminué l’horreur que doit inspirer cette catastrophe. L’exécution des gorges du Dahra sera toujours une page funeste dans nos annales d’Afrique. Cependant il ne faut pas juger de pareils actes avec un emportement aveugle ; il faut tenir compte à nos soldats des difficultés inouïes qui les entourent, et de la fatalité qui pèse sur les évènemens de la guerre. Partout la guerre est une chose atroce ; en Afrique plus qu’ailleurs, la cruauté et la perfidie des indigènes entraînent des représailles terribles. Nous ignorons, dans tous les cas, s’il existe un peuple dont l’histoire, plus pure que la nôtre, soit exempte de ces souvenirs sanglans qui font gémir l’humanité, et devant lesquels la civilisation se voile. Si ce peuple existe, assurément ce n’est pas l’Angleterre. Ce ne sont pas les conquérans de l’Inde et les compatriotes d’Hastings qui pourraient nous opposer la douceur de leurs mœurs, et nous faire rougir par leur exemple. Aussi nous ne pouvons comprendre les accès de fureur philanthropique qui possèdent depuis quinze jours les feuilles anglaises. Avant de donner des leçons d’humanité à nos soldats, les journalistes de Londres auraient dû relire l’histoire des établissemens anglais dans l’Inde. Quant aux écrivains fran-