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de la cavalerie dans toutes les directions, et malgré l’empressement avec lequel les ordres d’Achmet étaient exécutés, nos chasseurs rapportèrent de l’orge et de la paille hachée en abondance ; car les habitans n’avaient pas eu le temps de vider leurs silos, et toutes les meules étaient loin d’être brûlées. Nous nous trouvions dans un pays très cultivé, et, grace à l’activité de nos cavaliers, nos chevaux y vécurent dans l’abondance, l’ennemi ne tint nulle part, et eut bientôt disparu vers le sud-ouest. Le temps était magnifique ; la nuit fut tranquille ; la 2me brigade, ainsi que toute l’artillerie, campa avec nous au lieu dit Ben-Aïoun.

Le mercredi 4, nous levâmes notre camp à dix heures ; plusieurs passages de ruisseaux marécageux nécessitèrent les travaux du génie et retardèrent notre marche. En approchant du lieu appelé Summa, où se trouve un monument romain, on pensait que l’ennemi défendrait la position qu’il occupait l’année précédente ; mais il ne se montra nulle part, et nous traversâmes un défilé assez dangereux d’ailleurs sans rencontrer autre chose de l’ennemi qu’un jeune chameau que l’armée d’Achmet avait abandonné, et qui semblait fort dépaysé au milieu de nous. Quelques cavaliers se firent bien voir, mais sur des crêtes à de grandes distances. La tactique du bey était évidemment de nous laisser arriver jusque sous les murs de Constantine sans nous livrer bataille.

Nous ne trouvâmes pas plus de végétation sur notre route pendant cette journée que dans les précédentes ; le pays présentait toujours le même aspect. La vallée où nous marchions était hérissée de chardons et semée de pierres fort gênantes pour la cavalerie ; quelques chaumes d’orge dans les champs, des collines rondes et arides, avec des rochers çà et là, complétaient le paysage, qui m’a rappelé les régions les plus désolées de l’Auvergne : du reste, il y avait de l’eau dans tous les ruisseaux. Pas un Arabe ne vint à nous ; nous étions entourés de douairs et de meules fumantes. Les populations et leurs troupeaux s’étaient retirés au loin à l’approche de l’armée, car, de quelque côté que se portassent nos regards du haut des points les plus élevés du pays, nous ne découvrions qu’une immense solitude. C’était décidément un désert qu’Achmet avait voulu créer autour de nous. Heureusement que la richesse des moissons et la fuite précipitée des habitans avaient apporté quelque obstacle à l’exécution des mesures ordonnées par notre adversaire, car partout notre cavalerie trouvait des silos encore pleins, et, ce jour comme les précédens, nos fourrageurs revinrent abondamment pourvus de paille hachée ; de plus, ils