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celle de la porte d’El-Kantara, et de détourner l’attention de l’ennemi, en lui faisant craindre sur ce point une attaque semblable à celle de 1836. Enfin on disposa une batterie de mortiers, de manière à tirer sur la kasbah et à inquiéter la ville en essayant de mettre le feu aux principaux bâtimens qu’on supposait contenir les magasins et les approvisionnemens.

A notre arrivée, les Arabes étaient sortis en grand nombre par la porte d’El-Kantara ; leur cavalerie descendait en même temps des hauteurs de Sidi-Mécid, et une action très vive ne tarda pas à s’engager sur la droite de notre position, entre l’ennemi qui nous attaquait avec vigueur, et nos zouaves soutenus par le 2e léger, qui le continrent et le repoussèrent vers la ville. Nous perdîmes peu de monde dans cette première rencontre, car nos hommes avaient reçu l’ordre de se défiler de leur mieux derrière les rochers, et de ne pas se découvrir en tiraillant.

Depuis notre apparition sur le Mansourah, les femmes et les enfans de la ville n’avaient pas discontinué de pousser leurs cris perçans et monotones. Ce chœur de bruyantes imprécations s’arrêta tout à coup vers le milieu du jour ; le feu de l’assiégé cessa également, et nous crûmes un instant que quelque grand évènement allait se passer, lorsque du haut des minarets les voix nazillardes des muezzin se firent entendre et appelèrent le peuple à la prière. Il y eut alors un silence général d’environ un quart d’heure, durant lequel bien des vœux furent sans doute formés pour notre extermination. Cette immense prière collective, ce recueillement de toute une population, cette trêve respectueuse des instrumens de mort à l’évocation de la Divinité avait quelque chose de touchant et de solennel. Après une courte pause, le feu, le bruit, les cris, recommencèrent de plus belle et durèrent sans interruption jusqu’à la nuit.

Vers une heure, le général en chef ordonna à M. le duc de Nemours de simuler une attaque contre la porte d’El-Kantara, afin d’attirer de ce côté l’attention de l’ennemi pendant que le général Rulhières s’emparerait du Coudiad-Aty. Je portai de la part du prince, au colonel de Lamoricière, l’ordre de se mettre en mouvement, et, comme il ne s’ébranlait pas assez vite, je dus y retourner. « Voyons, me dit-il en souriant, faut-il attaquer à l’instant même ? Ne pouvez-vous prendre sur vous de m’accorder cinq minutes ? — Pourquoi ? lui demandai-je. — Il pleut à verse depuis une demi-heure ; mes hommes sont bien mouillés. Or, je prévois un rayon de soleil qui va percer ce nuage, et qui ne saurait manquer de réchauffer et de ragaillardir en