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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/63

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francs ; en le frappant d’immobilité, on occasionne au fabricant une perte d’environ 4,000 francs par semaine, sans compter la dépréciation que le temps apporte naturellement à cette propriété.

Les ouvriers fileurs n’ont rien négligé pour tirer parti des avantages de leur position. Entre l’ouvrier et le maître, la dictature de l’industrie devant appartenir à celui des deux qui pourrait prolonger les sacrifices et résister aux souffrances, ils ont fait les efforts les mieux combinés pour demeurer en possession du champ de bataille. L’union des fileurs existe depuis un temps immémorial ; il y a déjà quarante ans qu’elle embrasse l’Angleterre, l’Écosse et l’Irlande ; c’est la plus riche et la plus fortement organisée ; elle a eu à sa disposition des sommes énormes. Les multitudes, dociles à son impulsion, se sont plusieurs fois livrées à des démonstrations tellement imposantes, que l’on a cru être à la veille d’une révolution. La lutte s’est prolongée jusqu’à interrompre souvent le travail pendant plus de six mois, et pourtant il a fallu céder. Les pertes ont été grandes des deux côtés ; mais les ouvriers, en fin de compte, ont été constamment vaincus.

Il ne faut pas confondre les commotions populaires que déterminent la misère et l’inaction avec ces mouvemens à jour fixe et par ordre qui ont lieu généralement dans les époques où les manufactures jouissent de la plus grande prospérité. Les ouvriers s’y préparent de longue main, en formant un fonds commun au moyen de retenues opérées sur les salaires. Lorsque le comité directeur juge le moment venu, il demande une augmentation dans le prix des façons ou dans le taux des journées ; faute par les fabricans de l’accorder sur l’heure et sans discussion, il ordonne une suspension générale des travaux (strike). Parmi les sécessions industrielles, la première qui ait réuni un grand nombre d’ouvriers est celle de 1810, dans laquelle tous les fileurs de Manchester et des environs, y compris Stockport, Macclesfield, Staley-Bridge, Ashton, Hyde, Oldham, Bolton et Preston, quittèrent au même instant les manufactures. Trente mille ouvriers restèrent sans emploi pendant quatre mois, et pour peu que l’inaction se fût prolongée, leur exemple allait entraîner l’Écosse. La suspension des travaux avait été décrétée dans un congrès tenu à Manchester, et auquel assistaient les délégués des autres villes manufacturières ; quant à la direction de cette foule mutinée, elle était confiée à un ouvrier très intelligent nommé Joseph Shipley, qui exerçait un pouvoir absolu sur la multitude et qui parait avoir été un autre Mazaniello[1].

  1. Character, object and effects of trades-unions, in-8e, London, 1834.