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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/650

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Une balle ennemie l’avait traversé de part en part au moment où il enlevait la barricade. L’assiégé avait étendu, au-dessus de la ruelle garnie de boutiques latérales où nous nous trouvions, une espèce de toit en claies d’osier destiné sans doute à garantir ce passage, seul moyen de communication de l’intérieur de la ville avec les batteries, des éclats de pierre et des platras que nos projectiles faisaient voler de tous côtés. Ce léger blindage avait aussi pour objet de masquer les fenêtres d’une grande maison située à cheval sur la rue qui la traversait, et où des Arabes embusqués pouvaient tirer sur notre infanterie au jugé en perçant les minces couvertures que je viens de décrire. Des grilles faisant saillie en dehors défendaient les fenêtres de cette maison. On avait eu la précaution d’élever sur leur appui intérieur des tas de pierres rondes qui garnissaient la baie jusqu’à une hauteur suffisante. Les tirailleurs kabyles, défilés ainsi de notre feu derrière ce double abri, passaient leurs longs fusils à travers les interstices des pierres, et aussitôt qu’ils croyaient l’étroite rue du bazar bien remplie par nos hommes, ils faisaient pleuvoir sur eux une grêle de balles. A chaque instant nos braves soldats s’élançaient dans ce couloir obscur en criant : En avant ! mais la plupart, arrêtés dans leur élan par le plomb de l’ennemi, tombaient sans vie, ou en poussant des cris que leur arrachaient leurs blessures. Ceux qui, plus heureux, pouvaient sans être atteints parcourir tout le bazar et parvenir jusqu’à la maison, étaient alors exposés à découvert au feu de ses meurtrières ; arrivés au passage voûté de la rue, ils en ébranlaient vainement la porte, qui était barricadée et qui résistait à leurs efforts.

Ce bazar où nous étions n’avait pas plus de quatre pieds de largeur ; il était littéralement encombré par les morts et les blessés. C’était un spectacle lamentable, une scène d’horreur et de sang qui sera toujours présente à ma mémoire ; mais aussi je ne saurais en quels termes exprimer mon admiration pour ces jeunes soldats qui couraient à la mort comme des lions, malgré ce que nous pouvions dire pour modérer leur ardeur. J’en étais ému jusqu’aux larmes : avec une race d’hommes pareils, que ne serions-nous pas capables d’entreprendre ! Non, la France n’est pas dégénérée : j’en appelle aux vieux militaires qui ont pu voir notre infanterie combattre à Coudiad-Aty, sur la brèche et dans le bazar de Constantine, qu’ils nous disent si elle s’est montrée inférieure aux héroïques phalanges de la république et de l’empire ! Notre général en chef, en parlant de la journée du 13 octobre 1337, n’a-t-il pas dit : « C’est une des actions de guerre les plus remarquables dont j’aie été témoin dans ma longue carrière ? »