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retrouver une ou deux ruelles par lesquelles on se glissa un à un, où il fallait encore marcher avec précaution sous peine d’y être écrasé. « Ne battez, plus la charge, criaient aux tambours des zouaves des soldats engagés dans un de ces étroits couloirs, vous nous faites étouffer ! » Et, en effet, animés par ce son entraînant, nos braves poussaient leurs camarades sans se soucier de savoir s’il leur était possible d’aller en avant. La troupe qui couronnait la brèche était réunie dans un petit espace, et offrait par conséquent beaucoup de prise au feu de l’ennemi, dont les balles pleuvaient sur nous. L’intrépide colonel Combes, l’épée à la main, debout sur un pan de mur en ruine, semblait défier la mort. Une maison très élevée[1] et en vieille maçonnerie fort solide, située heureusement à la droite, nous défilait des feux de la caserne des janissaires, qui autrement auraient plongé sur nous, et nous auraient fait un mal incalculable. J’essayai de pénétrer, avec quelques hommes, sur le rempart en contournant cette maison, mais nous dûmes y renoncer ; à peine en avait-on doublé le coin et débouchait-on dans le chemin de ronde, qu’on se trouvait sous le feu des fenêtres de la caserne, qui n’était pas soutenable. Trois hommes y furent tués et d’autres blessés en n’avançant pas de plus de dix pas. Il fallut alors chercher de nouveau à pénétrer dans l’intérieur de la ville ; nous y réussîmes enfin, mais, en vérité, je ne sais pas comment : tout ce que je puis dire, c’est que nous marchions au milieu des décombres, en passant de masures en masures, en tuant les Arabes qui les défendaient, quand nous pouvions les voir, et en perdant nous-mêmes du monde. Je me rappelle qu’après là prise de la ville, je voulus retrouver la route que j’avais suivie dans ce dédale, et par laquelle j’étais enfin parvenu au bazar ; cela me fut impossible.

Quand j’arrivai à l’entrée de la ruelle du bazar, le colonel Combes, à la tête d’une compagnie de son régiment, venait d’enlever une barricade ; déjà blessé au cou sur le haut de la brèche, il fut frappé en ce moment pour la seconde fois. Ce héros me dit adieu. Ses lèvres, en me parlant, étaient toutes couvertes de sang. « Vous êtes blessé, mon colonel ! m’écriai-je. — Oui, répondit-il avec le plus grand calme, avec la plus grande sérénité ; j’ai reçu deux blessures… la seconde est mortelle. »

  1. Si l’assiégé avait eu l’idée de percer des meurtrières dans la partie de cette solide construction qui avait vue sur la brèche, et qu’on ne pouvait tourner, s’il y avait placé une ou deux pièces légères chargées à mitraille, ou même seulement des tirailleurs, je crois qu’après les éboulemens, suites de l’explosion, qui obstruèrent les abords de la rue du Marché, nous n’aurions pas pu tenir un instant sur la brèche, et la ville alors n’était pas prise.