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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/676

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ne se retrouve plus aujourd’hui que parmi les vieillards. La jeunesse actuelle serait plutôt dans l’excès contraire. Les enfans des martyrs polonais, obligés de suivre les cours des universités russes et allemandes, s’y voient soumis à une surveillance odieuse : la crainte du knout et du Spielberg, l’obligation de se taire constamment sur leurs sentimens les plus chers, développent en eux de bonne heure une force de dissimulation effrayante, et leur inspirent en même temps pour tout ce qui est de leur pays une sorte d’aveugle fanatisme. La Pologne trouve ainsi dans les violences dirigées contre elle la plus sûre garantie de sa nationalité.

Quoique moins opprimée matériellement, la portion de l’ancienne Pologne que régit l’Autriche subit un système de désorganisation analogue en tout à celui qui pèse sur la tsarie polonaise. Ce système, qui consiste à opposer les intérêts de la noblesse aux intérêts des paysans et à combattre ainsi les uns par les autres, est, on peut le dire, encore plus familier aux ministres des Habsbourg qu’au cabinet des Romanof ; mais les principaux chefs de la Pologne autrichienne ont enfin reconnu que le seul moyen de sauver leur pays était de reconquérir l’amour des paysans. Aussi voit-on aujourd’hui dans toute la Gallicie la noblesse, et surtout les petits gentilshommes, tendre la main aux paysans, s’habiller comme eux, et provoquer de toutes leurs forces l’avènement d’un tiers-état agricole qui puisse servir de base à une nouvelle société. Les magnats eux-mêmes sacrifient de plus en plus aux idées démocratiques, qui se font jour jusque dans la diète. Méprisée jusqu’ici à cause de son peu d’importance politique, cette diète gallicienne n’était guère visitée annuellement que par trois ou quatre de ses membres, courtisans de M. de Metternich, qui s’y rendaient pour la forme, assistaient à la lecture des propositions ou ordres de l’empereur, et signaient. Le reste des représentans du royaume de Gallicie et Lodomérie se bornait à envoyer ses équipages vides à l’hôtel des états ; mais, depuis que le nouveau roi de Prusse a cru devoir donner aux diétines provinciales une importance encore inconnue, depuis qu’on voit la diète polonaise de Posen lutter pour prendre rang parmi les parlemens européens, l’esprit d’émulation a saisi les Galliciens. La diète de Léopol est devenue, par l’affluence empressée de la noblesse, une véritable solennité nationale, et là aussi la Pologne s’est réveillée. Au silence des anciennes diètes a succédé l’animation ; des discours en langue polonaise y répondent aux harangues du commissaire royal. On entasse les demandes de pétition, que la cour refuse pour la plupart ; mais le peuple de Gallicie le sait, et les paysans, qui avaient vu