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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/675

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IV. – LES DERNIERES DIETES POLONAIRES ET BOHEMES

Parmi les sociétés gréco-slaves, celle dont la vitalité paraît aujourd’hui la plus compromise est la malheureuse Pologne. Nous croyons cependant que tout œil qui sondera ses plaies y découvrira les fermens d’une guérison, les symptômes d’une renaissance que nulle force humaine ne pourra détruire. Le grand malheur des Polonais est d’avoir eu depuis près d’un siècle à lutter à la fois contre la Russie, l’Autriche et la Prusse : sans la coalition permanente de ces trois états, la Pologne serait encore debout. Toutefois ce qui a causé sa chute est aussi, par une destinée providentielle, ce qui l’empêche de périr. Démembrée et partagée entre ses trois voisins, et les ayant par conséquent tous également pour ennemis, la Pologne ne peut se fier à aucun d’eux. En même temps chacune de ces trois puissances, jalouse de ses rivales, cherche à leur créer des embarras, en excitant, en réveillant au besoin les sentimens de nationalité en Pologne. La Prusse et l’Autriche, quand la Russie se montre trop menaçante, font mine de vouloir déchaîner contre elle les fureurs polonaises ; à son tour, le tsar prétend que sa qualité de Slave lui permet de protéger et de comprendre la vie polonaise bien mieux que ne sauront jamais le faire les niemtsi[1], et il provoque tant qu’il peut, chez les Polonais d’Autriche et de Prusse, la haine du nom allemand. Il est donc avéré que les ennemis même les plus acharnés de la Pologne ont besoin d’elle, et ne peuvent consentir à sa destruction. Quant aux Polonais, voyant trop bien le motif qui fait agir leurs prétendus protecteurs, ils ne peuvent se fier ni à l’Allemagne, ni à la Russie. Dans le monde entier, ils n’aperçoivent d’autre appui qu’eux-mêmes, et quoi qu’ils fassent, ils sont constamment ramenés au sentiment de leur propre force, comme à leur unique espoir de salut. Cette étude qu’ils font d’eux-mêmes leur est salutaire : refoulés, pour ainsi dire, au fond de leur conscience, ils apprennent chaque jour à se mieux connaître, chaque jour ils discernent plus clairement leurs qualités et leurs vices. De vieux préjugés se dissipent, les causes qui ont amené la ruine de la Pologne se dévoilent avec une évidence croissante. Or les causes d’un mal, une fois bien connues, révèlent aussi les moyens de le guérir. L’engouement pour les mœurs étrangères avait été dans l’ancienne Pologne la cause la plus active de désorganisation ; cet engouement

  1. Peuples étrangers au monde gréco-slave.