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La conclusion à tirer du mouvement politique et sociales états gréco-slaves tel qu’il s’accomplit depuis quelques années, c’est qu’il se forme, à côté de l’Europe occidentale, une Europe orientale à la fois antique et nouvelle, conciliant avec le culte de ses institutions primitives tous les besoins, tous les progrès de la civilisation moderne. A la vérité, cette Europe gréco-slave s’est jusqu’ici montrée à l’Occident plutôt comme un fantôme formidable que comme une force amie et libérale. On s’est obstiné jusqu’à présent à confondre avec les sujets du tsar ces Gréco-Slaves dont cinquante millions sont les ennemis nés de la Russie. Il n’est plus permis de conserver aujourd’hui ces vieux préjugés ; le moment est venu d’examiner sérieusement les questions qui s’agitent sur les bords du Danube et sur les côtes de la Méditerranée. Qu’on s’obstine à ne voir dans les Gréco-Slaves que les peuples les plus arriérés de l’Europe, il n’en faudra pas moins reconnaître qu’aucune société ne se montre aujourd’hui plus dévouée au progrès, qu’aucune n’est restée plus fidèle à l’amour exalté de la patrie. La centralisation ayant, dans le reste de l’Europe, fait descendre presque à l’état de questions locales les questions de nationalité, nous ne pouvons plus comprendre cette passion de liberté, ce culte pour la langue, le costume, les institutions indigènes, qui caractérise les Slaves opprimés de la Turquie, de la Russie et de l’Autriche. S’il y a plus d’une illusion dans les espérances de ces ames jeunes, de ces races primitives, il y a aussi dans leurs passions, dans leurs efforts, les signes irrécusables d’une puissante vitalité. Qui sait même si, dans cette Europe nouvelle, dont le génie à la fois chevaleresque et démocratique se réveille avec tant de fougue et une si fière audace, la vieille Europe ne trouvera pas un jour de salutaires exemples, une impulsion féconde, peut-être même un contrepoids nécessaire contre les fléaux qu’entraînent à leur suite l’industrialisme et le prolétariat ?


CYPRIEN ROBERT.