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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/686

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Bohême, qui est pourtant de tous les royaumes non allemands des Habsbourg celui où l’esprit germanique a jeté les plus profondes racines.

Au temps de Napoléon, personne n’aurait imaginé de regarder la Bohème comme un pays non allemand ; aujourd’hui les journaux et les recueils les plus dévoués à la cause allemande, comme le Vierteljahrschrift, se bornent à demander que dans ce royaume slave les Allemands continuent d’être traités en concitoyens, et que le rappel de l’union ne soit jamais prononcé. Il faut bien avouer que les Tchèques nous paraissent avoir perdu plus d’une des qualités propres à leur race. On pourrait dire qu’ils sont Slaves à peu près comme la Belgique ou la Savoie sont françaises. Les populations tchèques, même le moins mélangées, portent sur leur physionomie morale mille empreintes des coups que leur a portés l’Allemagne. Toutefois on reconnaît aisément que ces coups sont anciens, que les cicatrices tendent à s’effacer, qu’en un mot ce qu’on appelle en Autriche la germanisation du peuple bohème a cessé. Voilà sans doute le seul progrès vraiment incontestable de la nationalité tchèque ; mais avoir forcé les vainqueurs allemands à s’arrêter dans leur marche, n’est-ce pas déjà pour les vaincus un triomphe ?

Il est d’ailleurs difficile d’assigner aux Bohèmes dans l’organisation future du monde gréco-slave un rôle politique bien tranché. Ils sont les confédérés naturels de la Pologne, et suivront probablement en tout les destinées de leur alliée. Voilà pourquoi la fraction du peuple bohème qui a le moins de rapports avec les Polonais est aussi celle où se manifeste le moins d’énergie nationale. Cette fraction, qui, sous le nom de Slovaques, se trouve rejetée en Hongrie, garde vis-à-vis des Maghyars, adversaires déclarés de sa nationalité, une attitude passive. Isolés de leur mère-patrie, la Bohème, et privés d’ailleurs des franchises municipales qui permettent aux autres peuples slaves de la Hongrie de résister à l’influence maghyare, les Slovaques paraissent sur le point d’abdiquer leur nationalité. Leur langue et leurs mœurs sont l’unique trésor qu’ils s’efforcent de sauver du naufrage. La réforme morale fait seule parmi eux des progrès. Ainsi, reconnaissant que chez eux, comme chez tous les Slaves, le vice principal est l’ivrognerie, ils courent par centaines aux églises, pour y renoncer, par un vœu solennel, à l’usage des liqueurs fortes. Quant à l’agitation politique, il n’y en a pas trace parmi les Slovaques. C’est au peuple maghyar qu’il est réservé de donner en Hongrie le spectacle imposant d’une agitation vraiment nationale.