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dans la voûte un trou qui, aboutissant à la cheminée de la chaumière, confondait la fumée de celle-ci avec la fumée du feu allumé dans le souterrain ; enfin, pour compléter le succès de tant d’inventions ingénieuses, ils avaient meublé avec quelque recherche ce domicile, où l’on ne pénétrait que par le puits, c’est-à-dire par le seau qu’une main amie, celle du paysan habitant de la chaumière, ou de sa femme, arrêtait juste devant la petite arcade servant de porte à la grotte. Le mur cachait le puits à ceux qui remontaient le Cliff du côté de la mer, de sorte que tout contrebandier vivement poursuivi tournait le mur, s’élançait dans le seau, qu’il entraînait par son poids, s’arrêtait lui-même devant la porte de la grotte, au moyen d’un grappin qu’il se tenait prêt à jeter et qui lui servait d’ancre, et s’élançait, malgré toutes les recherches, dans une chambre obscure, ronde et voûtée, étroite par le bas, large par le haut, d’ailleurs aérée et saine, où il trouvait des alimens, du feu et un abri. La disparition fantastique des contrebandiers s’était répétée si souvent, que de Nacton à Ipswich l’existence des fantômes était devenue un article de foi.

Il y eut cependant un Irlandais nommé Pat O’Brien que cette explication surnaturelle ne satisfit pas. Ce Pat était malin, et il voulut en avoir le cœur net. Il avait remarqué ce mur et ce trou, par où s’opérait régulièrement l’escamotage des contrebandiers poursuivis, et il lui prit une envie extrême de savoir ce que contenait l’intérieur du Puits des Fantômes. Il pouvait lui en coûter cher, comme on va le voir.

La cabane était habitée par la famille d’un vieux laboureur dont les contrebandiers s’étaient fait un ami fidèle. La population presque entière de ces grèves était pauvre. Plus d’un ballot de dentelles, plus d’un châle de haut prix, sans compter les barils d’eau-de-vie, de rhum, de genièvre, et les pipes d’écume de mer passaient du pont des bricks chez ces paysans, qui n’avaient point envie de prendre parti contre l’illégale industrie qui leur fournissait à très bon marché des objets précieux. La plupart fermaient les yeux lorsque les capitaines de bricks débarquaient la nuit ce qu’ils appellent encore la cargaison du clair de lune. Dans tous les pays, dès que l’homme peut attester son ancien droit à la liberté sauvage, il s’y rejette avec une grande joie, et les gens des frontières, comme les habitans des côtes, sont volontiers contre la loi pour le contrebandier de terre ou de mer. La femme du laboureur était dans ces sentimens ; elle avait reçu plus d’un cadeau des capitaines de bricks, et leur était dévouée. Pat, le garde-côte, s’adressait donc on ne peut plus mal quand il témoigna le désir de voir un peu ce qui se passait dans ce fameux puits, à la femme du laboureur,