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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/691

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leur vivacité, leur vigueur, leur amour de la bataille, cette bravoure étourdie qui les distingue, ces ruses de sauvages qu’ils emploient merveilleusement, en faisaient des adversaires redoutables pour les ennemis de la douane. Ils bravaient la pluie et le vent, l’orage et la chaleur, l’épouvantable bise qui siffle sur ces sables, et même, sans la rendre à personne, la haine violente à laquelle leur triste métier les exposait. Ils se faisaient tuer et ils tuaient avec une bonne humeur imperturbable. Les paysans, amis de la contrebande, pardonnaient à ces Irlandais, qui souvent s’asseyaient à leur table et leur contaient des histoires merveilleuses, — par exemple, que du côté de Bawdsey Cliff une légion de fantômes habitaient, que ces fantômes étaient ceux des contrebandiers d’autrefois, que leur apparition était du plus mauvais augure, qu’ils disparaissaient à volonté dans les sables, et que tout officier du gouvernement assez hardi pour les suivre était infailliblement perdu et englouti dans les régions souterraines. Voici la cause de cette croyance, qui, grace à la facilité oratoire des Irlandais et à la crédulité de leurs auditeurs, s’était répandue assez loin.

Une cabane de pauvre apparence, avec un petit verger entouré d’un mur en pierres sans ciment, occupait le sommet de Bawdsey Cliff. Près de la cabane, derrière le mur du verger, se trouvait un puits sans margelle, d’une structure grossière, remarquable seulement par la grosseur du table et la largeur du seau de bois qui servaient à puiser de l’eau. L’orifice de ce puits était protégé par un amas de tessons et de fragmens de bouteilles qui empêchaient d’en approcher ; ce n’était pas sans motif que l’on en avait ainsi défendu les abords ; à douze pieds environ du sol, dans la paroi du puits, bâtie des pierres ou galets qui couvrent la côte, s’ouvrait une petite arcade surbaissée ; elle servait de porte à une grotte singulière et long-temps ignorée de tout le canton, dont c’est une des curiosités naturelles.

La forme de cette grotte est circulaire, elle présente un entonnoir immense, aussi parfait que si le compas et l’équerre en eussent achevé l’exécution. Des sillons réguliers, s’élargissant et s’espaçant davantage à mesure qu’ils se rapprochent de la voûte, tracent autour de la grotte leurs cercles concentriques, et attestent le séjour d’une masse d’eau, qui, se frayant, à travers les sables, un passage vers la mer, a long-temps tourbillonné dans cette cavité, dont elle a creusé l’argile, pour en ressortir par une autre issue. Les contrebandiers de ces cantons avaient depuis long-temps mis à profit cette ressource naturelle ; ils avaient détourné le cours d’eau en lui donnant une issue vers l’Océan ; ils avaient goûté la grotte, pratiqué