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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/697

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éclate sa force, et que l’individu garde sa valeur en dépit des circonstances et des accidens. Or, cette Marguerite Catchpole, fille de fermier, servante condamnée aux travaux forcés, qui est morte avec un demi-million de fortune, près de la ville de Sidney, et dont le fils est aujourd’hui un des hommes distingués de son pays, n’était point, malgré sa déportation, une heureuse ou vulgaire criminelle, mais une touchante héroïne.

J’aurais voulu que le révérend biographe ne cherchât point à grandir et à embellir ce personnage. Il lui arrive de faire de temps à autre du sentiment, dont on le dispenserait volontiers, et de semer de points d’exclamation la simplicité du récit. Margaret Catchpole ne savait pas lire, et c’est ainsi que je l’aime. A treize ans, apprenant que sa maîtresse, la fermière de Nacton, est malade, elle détache le petit poney dans l’écurie, saute à cru sur son dos, sans selle et sans bride, descend la Colline de l’Évêque au grand galop, et finit par arriver sur la grande place d’Ipswich, chez le chirurgien, tout étonné de la visite. Elle répondait, comme on le voit, au signalement que j’ai donné plus haut des femmes du pays, de leur énergie audacieuse et de leur activité passionnée.

Non-seulement nos deux personnages étaient merveilleusement préparés pour ce qu’il y a de plus fatal au bonheur, et même à la vertu, pour le roman dans la vie réelle, mais, par une singulière harmonie, le paysage qui les entourait, et que j’ai déjà indiqué, était digne des acteurs par la singularité pittoresque. Aucun des poètes paysagistes anglais n’en a parlé, ni Thompson, ni Spencer, ni Cowper, ni Shenstone, pas même Crabbe, qui a séjourné sur un autre point de la côte d’Angleterre, côte plus stérile, moins fréquentée, et qui ne vit pas de contrebande ; il en a décrit les mœurs sauvages avec une minutieuse énergie. Les localités méridionales, dont parle M. Cobbold, et qu’il décrit assez mal d’ailleurs, seraient plus dignes d’un poète et d’un peintre ; quelques paysages ravissans se dérobent dans les replis de ces collines situées à quelques lieues de la mer.

Une ferme nommée Alneshbourne, par exemple, réfugiée et comme recluse dans les ruines d’un vieux couvent de frères augustins, eût fait les délices de Gray ou de Cowper. Le fossé est détruit, l’eau qui le remplissait en baignant les murs du monastère, continue de bruire librement autour de la ferme ; la tour est renversée, le clocher abattu, la charpente de la toiture à nu, et les armes féodales de Michel de la, Pole, tué par nos Français à la bataille d’Agincourt, apparaissent massivement sculptées au-dessus d’une porte gothique, arche triomphale