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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/696

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glorieuse ; pendant que la mer brise ses lames sur les rochers et les sables, les journaux de Londres et de l’intérieur de l’île viennent chaque jour murmurer aux oreilles de ces paysans pauvres et ignorans des bruits de triomphe, de gloire, de combats, de guerre, de pays vaincus, de richesses bien ou mal acquises, et tout invite les habitans de ces plages à tenter la fortune et à courir la mer de leur côté, pour se créer aussi de l’illustration et de l’aisance. Un motif puissant avait surtout déterminé le jeune Laud à choisir la périlleuse carrière qu’il parcourait ; il était pauvre et amoureux. Il avait vu et il aimait la jeune Marguerite, fille d’un fermier de Nacton, nommé Catchpole, une charmante fille qu’il voulait épouser, et à laquelle il n’était pas indifférent. Comment lui assurer cette indépendance si désirée ? La route de l’industrie honnête était longue, celle de la mer lui était ouverte.

Il partit donc sans avertir Marguerite, s’empara du brick qui lui fut offert par le capitaine, et ne cessa plus d’aller et de venir de Hollande en Angleterre et d’Angleterre en Hollande. L’un des plus audacieux et des plus heureux parmi ces écumeurs de mer, il se fit une réputation dans son genre. « Will Laud, dit le révérend Richard Cobbold, qui l’a connu et qui l’excuse volontiers, était le véritable type de sa race et de son état. Grand, le front haut et droit, l’œil bleu, les cheveux blonds et bouclés, la courbe du nez impérieuse et puissante, les lèvres fortes et le menton massif, sa physionomie était celle qui convient à la résolution devant le péril, à l’amour ardent des entreprises, » à cette vie même que sans doute avaient suivie ses ancêtres, pirates venus dans ces contrées pour labourer une terre plus fertile que la leur. Marguerite Catchpole, dont le révérend a donné le portrait en pied, portrait qui sert de frontispice aux deux volumes, offrait un type absolument contraire, « le teint basané et chaud de la bohémienne, les cheveux d’un noir mat, les yeux brillans, bruns, intelligens, les joues rondes, la taille déliée. »

Tels sont les personnages de ce drame, personnages vulgaires assurément par leur condition et leur fortune, sympathiques dans leurs contrastes, et qu’un autre destin aurait pu mener à ce que les hommes appellent l’héroïsme. Il y avait de la bravoure et de la générosité chez Laud, comme sa conduite envers le pauvre Irlandais l’a prouvé ; quant à Marguerite Catchpole, qui tiendra la première place dans ce récit, sa nature était plus distinguée. Donnons leur rang et prix aux énergies, populaires ; plaçons dans leur cadre véritable chacun des fils de Dieu ; que l’ame humaine soit honorée partout où