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à lire et à écrire, une habile ouvrière et une bonne surintendante pour cet établissement de bienfaisance. Une femme à qui une autre femme inspire de l’intérêt veut toujours la marier. Mistriss Palmer y pensa pour Marguerite, qui n’avait jamais été belle dans la véritable acception de ce mot, mais dont la vivacité, la grace et l’élégance naturelle fleurissaient dans cette vie libre d’orages intérieurs. L’occasion faisait quelquefois reparaître l’héroïne des côtes de Suffolk ; dans une inondation violente, comme le sont celles de la Nouvelle-Galles, elle sauva plusieurs enfans qui allaient périr, en dirigeant elle-même le bateau, et ne fit pas le moindre bruit de son dévouement. En dépit de cette réserve ingénue, elle devenait un personnage dans l’Australie.

La pauvre Marguerite n’était pas fière de ses aventures, et son roman ne l’enorgueillissait pas ; elle avait supplié sa maîtresse de cacher son nom, qu’elle lui avait avoué, ses antécédens, qu’elle lui avait brièvement contés, et elle gardait son humble rang sans s’informer de ce qui se passait dans la colonie. L’asile même dont elle était l’inspectrice comptait, sans qu’elle le sût, parmi ses fondateurs un des hommes qui s’étaient trouvés mêlés aux incidens de sa vie. C’était ce même Jean Barry, frère d’Édouard et rival de Laud. Une fois guéri de sa blessure, il avait compris que l’amour obstiné de Marguerite ne céderait jamais, et s’était fait nommer inspecteur du cadastre à Botany-Bay, chargé de la répartition des terres entre les colons. Débarqué à Sidney à la fin de 1794, sur la frégate de transport la Bellone, cette exactitude dans les relations et cette douceur de caractère qui ne l’abandonnèrent pas assurèrent sa fortune et lui valurent une estime méritée dans ce pays de brigandage et de châtiment, où notre civilisation corrompue de l’Europe se montre plus sauvage que la vie sauvage des forêts.

La paisible carrière de Barry se couronnait déjà d’honneur et de fortune, quand il vint à perdre sa sœur cadette, appelée par lui d’Angleterre, et qui s’était chargée du gouvernement de sa maison. Resté seul et accablé des détails d’une grande administration, ce fut à mistriss Palmer qu’il s’adressa pour trouver une personne de confiance entre les mains de laquelle les soins de son ménage pussent être remis. En recommandant la condamnée Marguerite Catchpole, mistriss Palmer se crut obligée de ne cacher à M. Barry aucun des faits relatifs à la vie antérieure de sa protégée. Là, M. Barry reconnut à la fois ses propres aventures, les douleurs de sa jeunesse, et celles de la femme qu’il avait si inutilement aimée. Sa conduite fut belle et simple. Il alla droit au gouverneur, avec lequel il était dans des termes