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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/716

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savans livres publiés dans ces derniers temps, ont été, dans ce recueil même, l’objet d’une analyse trop complète pour que nous répétions ici quelles obligations lui doivent les annales et les origines de notre théâtre[1]. L’un des caractères de cet esprit rare et délié, c’est la prudence ; aussi n’ose-t-il pas avancer, et je me garderai bien d’affirmer à mon tour que la magnifique église de Gandersheim ait servi de théâtre aux nonnes actrices ; je pencherais secrètement, comme on l’a vu, vers cette dernière opinion, que je suis loin de soutenir comme indubitable et certaine. Où Hrosvita aurait-elle trouvé place pour ses processions triomphales, ses cérémonies de mariage, de baptême et de funérailles, ses combats simulés, et tous les groupes de comparses qu’elle aime à faire mouvoir ? Mille détails, ceux-là entre autres, confirment l’assertion de M. Magnin, qui estime que ces œuvres ont été faites pour être représentées et non lues. Des gloires descendent, les cercueils s’ouvrent ; un ermite monte à cheval, traverse la forêt, et arrive à une place publique. Voici une hôtellerie, que l’on pourrait appeler d’un nom moins honnête ; ceci est un cimetière ; une ame béatifiée disparaît et monte au ciel. Pour ces divers jeux de scène assez compliqués, l’église était mieux disposée que l’intérieur du couvent et même que la salle du chapitre, que M. Magnin semble désigner dans une note. L’église, d’ailleurs, la nef et l’autel furent, pendant le moyen-âge, habitués à se prêter à ces jeux scéniques, et c’est un fait que M. Magnin aura le premier éclairci avec une savante et spirituelle lucidité, que l’éclosion du théâtre moderne, naissant et se développant du sein même des cérémonies catholiques.

Objectera-t-on que les légendes tournées en drames par Hrosvita étaient peuplées de personnages qui n’appartenaient point aux saints livres, et que c’eût été une profanation intolérable ? Cette profanation prétendue s’accordait avec le génie du moyen-âge. A Constantinople et dès le VIIe siècle, on avait vu des représentations pompeuses s’emparer des lieux saints, au point de scandaliser quelques esprits timides ; les années, en s’écoulant, ne firent que servir ce développement de l’esprit chrétien, essentiellement populaire et sympathique. Je ne crois pas qu’il y ait eu de délimitation tranchée et complète entre le drame sacerdotal pur, le drame populaire des églises et le drame profane ; la transition a dû s’accomplir, comme tout se fait en ce monde, par une succession de mouvemens inaperçus, quelquefois contradictoires, dont le résultat général était identique, et concourait

  1. Article de M. Sainte-Beuve, dans la livraison du 15 octobre 1843.