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germanique, de savoir latin, de dévotion vive et d’ingénuité grossière dont j’ai parlé, que la vie de cet évêque, recueillie par Leibniz[1], vie aussi divertissante qu’elle est précieuse pour la connaissance du Xe siècle en Allemagne.

L’empereur, son cousin et son compagnon d’armes, l’avait investi malgré lui de l’évêché de Paderborn, que la négligence de l’évêque précédent, Rhetarius, avait laissé tomber en ruines. Meinwerc était riche ; il ne se souciait point d’un évêché qui devait lui coûter beaucoup et lui rapporter peu ; cependant il se dévoua, se réservant le droit de représailles, qu’il exerça d’une façon originale. « Un jour, par exemple, que l’empereur devait aller entendre la messe à la cathédrale, ce dernier fit placer sur l’autel ses plus riches étoffes de cérémonie, et recommanda bien à ses hommes d’armes et à ses suivans de rester près de ces objets précieux, dont l’évêque, fort sujet à caution, pourrait vouloir faire sa proie. Meinwerc dit la messe lui-même, et, après l'Agnus Dei,, monta en chaire, traita de la différence qui se trouve entre la dignité impériale et la dignité sacerdotale, prouva la supériorité de celle-ci sur l’autre, et démontra, d’après les canons, que tout objet, une fois consacré au service des autels, demeurait à jamais soumis à la juridiction de l’évêque ; après quoi il retint comme propriété inviolable de son église les ornemens dont on venait de faire usage, et frappa d’excommunication quiconque « serait assez osé pour les reprendre. » L’empereur, mécontent de ce tour épiscopal (dit la légende écrite par un contemporain), fut forcé de se soumettre ; il fit ensuite à Meinwerc et à son évêché beaucoup d’autres dons non moins involontaires : celui d’une coupe d’or, d’une patène, et d’un manteau du plus haut prix, que Meinwerc, après le lui avoir long-temps et vainement demandé pour le maître-autel, finit par enlever des épaules impériales. — « Tu es un voleur ! cria l’empereur à l’évêque qui se sauvait, et tu me le paieras de manière ou d’autre - Il est plus convenable, répondit Meinwerc, que ce manteau soit dans le temple de Dieu que sur tes mortelles épaules ! »

Cependant l’empereur, qui était à bout, avait résolu de se venger, il appela donc son chapelain, et se faisant apporter le rituel du service pour les morts, où se trouvent ces mots : Benedic, Domine, regibus et reginis, famulis et famulabus tuis, il lui ordonna d’effacer la syllabe fa des deux mots où elle se trouve. Le lendemain, Meinwerc, ayant

  1. Leibnitz, Scriptores rerum Brunsvicensium illustrationi inservientes, I, P. 555.