délicate mesure des Grecs, succession mélodieuse de brèves et de longues. Des organes durs et des populations sauvages ont créé une symétrie grossière et forte, d’accord avec la rudesse du langage qu’ils parlaient : c’est l’allitération ; cette symétrie, tombant sur la racine, c’est-à-dire sur le sens des mots, aidait la mémoire et y faisait pénétrer la poésie et les lois du pays. Les antiquaires et le peuple anglais sont restés fidèles à l’allitération ; l’écaillère de Londres ne manque pas de dire : Wine and winegar, et les titres des livres populaires en Angleterre reproduisent avec complaisance cette antique forme : Wine and Wallnuts, — Peter Priggins, — Paul Pry.
Je regarderais volontiers ces deux élémens comme nouveaux en Europe, appartenant aux races barbares et illétrées ; rusticus sermo, rusticitas, indiquent, ainsi que le prouve un passage de don Bouquet, les chants populaires rimés[1]. Toutefois on doit noter un fait digne de remarque, c’est l’affinité constante de l’une de ces deux formes, la rime, avec le Midi, — et de l’autre, de l’allitération, avec le Nord. Saint Augustin, Africain, écrit un sermon en assonances pour mieux graver sous cette forme sentencieuse sa doctrine sacrée dans l’esprit des auditeurs. On trouve, dit William Jones, la rime établie en Orient dès l’origine de la poésie arabe. Lorsque les Scandinaves apportent leur allitération dans le monde romain, ce sont les Romains qui prennent la rime. Bientôt elle devient la forme favorite des chrétiens, forme proverbiale, gnomique, on ne peut plus favorable à la mémoire.
Au IXe siècle, parmi les Germains, ce sont les septentrionaux qui allitèrent, et les méridionaux qui riment. La plus vieille poésie chrétienne germanique est celle d’Otfried, moine de Weissenbarg, en haut allemand, et celle de l'Heliand, par un Bas-Saxon qui écrivait peu de temps avant Hrosvita. Otfried, qui représente le sud plus civilisé, mêlé de latinisme et de keltisme, possède déjà la rime. L’auteur de l’Heliand garde encore l’allitération, ornement et fondement de la vieille poésie nationale. L’Allemand du nord suit de près la Bible ; celui du sud a ses idées ; il change, il amplifie, il fait de la critique. Le septentrional est naïf, le méridional policé. Ce dernier s’étonne sans cesse de pouvoir exprimer de si saintes choses en langue tudesque rimée, ce qui est une nouveauté pour lui. La rime a eu beaucoup de peine à s’acclimater au nord de l’Angleterre, où la forme allitérative s’est conservée long-temps. Chaucer dit qu’il est un Breton du midi, et qu’il « ne
- ↑ Tom. III, p. 505.