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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/730

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Ce grand amour des mêmes sons offre une singularité curieuse et nous rejette dans une question importante et mal éclaircie, celle de la naissance et de l’origine de la rime chez les modernes.

Si nous suivions l’exemple de quelques érudits qui ne nomment jamais ceux qu’ils dépouillent, et non de M. Magnin, exact à citer ses moindres autorités, il ne tiendrait qu’à nous de tailler librement et de puiser à l’aise dans une mine d’érudition extraordinaire, l’Essai sur la Versification, publié, il y a peu d’années, par M. Edelstand Duméril, et dont personne n’a parlé : il y a là, dans un entassement excessif, de quoi défrayer dix gros volumes d’érudition littéraire. Quelques faits soigneusement vérifiés, empruntés à ce savant auteur et ramenés à nos propres vues, nous serviront de guides dans une recherche assez difficile. Si l’on consulte le peu de monumens tudesques, anglo-saxons, frisons, islandais, qui nous restent de cette époque, on reconnaîtra que Hrosvita n’a fait qu’être fidèle au génie gothique de son temps. Deux principes de versification le dominaient, — l’un plus rude, plus antique et plus général, l’allitération, qui répète durement la première ou la seconde consonne, c’est-à-dire la racine des mots : elle constitue l’essence même de la versification allemande et anglaise, comme le dit Grimm[1] ; — l’autre, la rime, forme plus élégante et plus polie. Le martellement cyclopéen des vers scandinaves primitifs, tels que :

Sofe Snél Snéllemo, etc.


n’était pas plus étranger que l’assonance des finales aux poètes grecs et latins. Ennius dit :

Salmacida Spolia Sine Sanguine et Sudore ;


Il y a quelques rimes volontaires dans l’Iliade et l’Enéide. Cependant les langues anciennes n’adoptaient pour base et pour loi fondamentale de leur poésie ni l’allitération ni la rime, plaisirs de l’oreille, l’un plus stimulant et qui exerce une action plus âpre, l’autre plus reposé et plus doux, ressortant l’un et l’autre de ce besoin d’ordre harmonique, source des arts comme des passions, mais sans rapport avec la nature rhythmique de ces idiomes.

Le rappel du même bruit, le parallélisme des sons, constituent donc un principe de versification spécial, nouveau, sans analogie avec la

  1. « Ich glaube dass die alliteration ursprünglich ihren sitz in der ganzen poesie des deutschen sprache stammes gehabt bat. » (Ueber den altdeutschen meistergesang, p. 166.)