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volume de M. Magnin et aux commentaires excellens qui précèdent et suivent sa traduction. Ce sont surtout les points de vue élevés et délicats qu’il s’est plu à ouvrir, et il y a là des échappées infiniment curieuses ; les nuances dans la peinture des sentimens du cœur, l’union de la chasteté volontaire et de l’amour ardent, l’expression contenue des passions fortes, la métaphysique dans l’émotion, tous ces caractères essentiels de la civilisation moderne se trouvent, chez Hrosvita[1], à l’état de premiers linéamens et dans leur forme pour ainsi dire virginale. C’est ce que M. Magnin ne manque point d’indiquer avec une grande sûreté de coup d’œil et dans le meilleur style.

Le fonds de ses drames est germanique ; elle tend au vrai plutôt qu’au beau, qui est le but spécial de l’art hellénique ; elle admet tout ce qui peut faire prévaloir la vérité, scènes comiques et hideuses, violentes et même impudiques ; une sincérité passionnée les relève. Ce fonds de vérité sévère s’échauffe d’une inspiration chrétienne, sans subtilité, sans raffinement, sans arrière-pensée, sans langueur molle et fade ; point d’hypocrisie ou de réticence ; elle avoue la véhémence des entraînemens humains et cherche sa force en Dieu seul. Quant aux sujets, ils s’offraient d’eux-mêmes ; c’étaient les vies des saints et les pathétiques ou merveilleuses légendes dont l’histoire chrétienne se compose. Elle a respecté le plus possible le récit sacré, qu’elle ne lisait qu’en tremblant ; et quant au style, trouvant un instrument demi-latin et demi-barbare, elle l’assouplit, le perfectionna, le simplifia et en fit ce que nous avons vu.

Ces deux vices modernes, la légèreté dans le travail, le faux enthousiasme dans les vues, n’ont aucune part aux recherches de M. Magnin. Il lui était facile de se ranger sous la bannière de Dulaure et de livrer à la risée ces légendes catholiques ; il pouvait aussi attaquer violemment Voltaire, qui a présenté le moyen-âge comme un âge de profonde ignorance. Il n’a rien fait de tout cela. Effleurant un grand nombre de questions délicates dont il indiquait les profondeurs, il n’a faussé, en essayant de les reconstruire, ni l’humanité, ni l’histoire. Le berceau de notre scène lui est apparu dans les églises, et

  1. L’étymologie réelle du mot Hrosvita, qu’elle traduit elle-même Clamor validus (à peu près comme De Thou traduit Bassompierre par Levis sonus a rupe), nous semble devoir être Rauschen (bruit, murmure), et schwind (rapide, violent) ; le nom véritable de la religieuse aurait donc été Rauschwind, latinisé par le mot Hrotwitha ou Hrotsvitha, orthographe inexacte, mais que M. Magnin a d’ailleurs trés bien fait de conserver d’après le manuscrit.