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ce berceau il ne l’a pas agrandi ; de légendes dramatiques il n’a pas fait les chefs-d’œuvre de Sophocle. Indiquant le pédantisme et la recherche de certains passages, et la mode de cette dialectique absurde qui s’élaborait dans les couvens, il n’a pas abusé de ces défauts pour jeter une réprobation injuste sur le Xe siècle. Cette modération, cette sobriété, lui ont permis de bien voir et de bien analyser le talent original de la religieuse. Un autre mérite dont il faut lui tenir compte, c’est de montrer les points de vue sans les épuiser, de faire penser le lecteur au lieu de forcer sa croyance, de féconder la méditation sans présenter les objets, les faits et les personnages sous un jour artificiel.

On se demande pourquoi les œuvres de ce genre, amusantes et sévères, piquantes dans leur simplicité, deviennent si rares. On publie cependant des milliers de volumes par année. Les livres ne manquent pas, ni les prétentions au savoir et au beau style. Toutes les intelligences sont éveillées, toutes veulent jouir, la plupart créer ; c’est un prurit universel et un avortement qui se tourne en règle et en habitude. Rien ne mûrit ; chacun se hâte, chacun s’élance. Un savoir indigeste, recouvert d’un coloris ardent et cru, est servi précipitamment à un public aussi pressé de lire que l’auteur est impatient de faire éclater son nom. Dans le roman, cette précipitation lâche les écluses journalières des fictions intarissables qui nous inondent. Un livre sérieux et amusant, publié au milieu de cette fécondité de mauvais aloi, mérite bien d’être remarqué. Tel est le livre de M. Magnin. Plusieurs questions graves sont éclairées par ce travail, auquel le savoir et le goût ont une part égale, dont la forme est excellente, et où les esprits d’élite étudieront désormais la religieuse du Xe siècle, — ame passionnée et esprit supérieur, qui croyait imiter Térence et qui annonçait Racine.


PHILARÈTE CHASLES.