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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/742

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d’une autorité usurpée, que, pour faire un beau cheval, pour composer un type idéal de force et d’ardeur, il faut choisir dans la nature réelle les élémens épars dont la réunion constitue la beauté ; et, s’attachant au sens littéral de cette maxime, qui par elle-même est fort incomplète et a besoin d’être fécondée par l’interprétation, il a négligé une des parties les plus importantes de la tâche imposée à tous ceux qui veulent créer, qu’ils s’appellent peintres, poètes ou statuaires. Il a choisi sans se demander si les élémens qu’il choisissait étaient unis entre eux par une parenté lointaine ou prochaine, et s’ils pouvaient s’assembler sans violence, s’ils pouvaient se coordonner et se fondre de façon à dissimuler la diversité de leur origine. C’est pour n’avoir pas connu ou pour avoir oublié l’importance profonde de cette vérité, que M. Marochetti est arrivé à modeler un cheval dont la tête et les cuisses s’accordent si mal et se contredisent si formellement. Ce n’est pas tout : les extrémités des membres postérieurs et antérieurs ne s’accordent pas davantage entre elles. Les extrémités des membres antérieurs appartiennent évidemment à un cheval de course ; les extrémités des membres postérieurs appartiennent à un cheval de trait. C’est la même faute engendrée par la même ignorance ou le même oubli. La flexion du membre antérieur gauche offre une ligne désagréable, et ne convient pas au type que le statuaire devait réaliser, au type du cheval de bataille. Enfin, le mouvement combiné des quatre membres présente au regard une confusion fâcheuse, et, si l’on veut prendre la peine de l’analyser, on verra qu’il ne réunit pas les conditions d’un équilibre solide.

Outre la violation du principe d’unité, dont l’importance ne saurait être méconnue, M. Marochetti a commis encore une autre faute. Il a demandé à son art ce que son art ne peut donner ; il a voulu trouver sous l’ébauchoir ce qui ne peut se produire que sous le pinceau. L’erreur que nous reprochons à M. Marochetti est aujourd’hui malheureusement populaire, parmi ceux qui produisent comme parmi ceux qui jugent ; on rencontre dans les ateliers bon nombre de gens qui la partagent, et s’imaginent, de la meilleure foi du monde, qu’ils ont fait une belle statue quand ils ont réussi à indiquer dans le marbre ou dans le bronze un effet que l’œil est habitué à trouver sur la toile. C’est tout simplement une des bévues les plus lourdes qui se puissent faire.

Chaque forme de l’art a son but et ses moyens qui ne sauraient être méconnus impunément. Chercher l’école d’Athènes dans le marbre, ou le Laocoon sur la toile, est une tentative que le goût réprouve, et qui ne peut aboutir qu’à des œuvres puériles. C’est en cherchant la peinture