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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/780

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aussi d’en saisir l’harmonie. Nous l’étudierons successivement dans l’homme qui la connaît et qui la sent, dans les objets de tout genre qui la contiennent, dans le génie qui la reproduit, dans les principaux arts qui l’expriment chacun à leur manière selon les moyens dont ils disposent.

Commençons par interroger l’ame en présence du beau.


I.


N’est-ce pas un fait incontestable qu’en face de certains objets, dans des circonstances très diverses, nous portons ce jugement : Cet objet est beau ? Cette affirmation n’est pas toujours explicite. Quelquefois elle ne se manifeste que par un cri d’admiration ; quelquefois elle s’élève silencieusement dans l’esprit qui à peine en a conscience. Les formes de ce phénomène varient, mais le phénomène est attesté par l’observation la plus vulgaire et la plus certaine, et toutes les langues en portent témoignage.

Quoique les objets sensibles soient ceux qui, chez la plupart des hommes, provoquent le plus souvent le jugement du beau, ils n’ont pas seuls cet avantage ; le domaine de la beauté est plus étendu que le monde physique exposé à nos regards ; il n’a d’autres bornes que celles de la nature entière, de l’ame et du génie de l’homme. Devant une action héroïque, au souvenir d’un grand dévouement, même à la pensée des vérités les plus abstraites puissamment enchaînées entre elles dans un système admirable à la fois par sa simplicité et par sa fécondité, enfin devant des objets d’un autre ordre, devant les œuvres de l’art, ce même phénomène se produit en nous. Nous reconnaissons dans tous ces objets, si différens qu’ils soient, une qualité commune sur laquelle tombe notre jugement, et cette qualité nous l’appelons la beauté.

En vain on a tenté de réduire le beau à l’agréable.

Sans doute la beauté est presque toujours agréable aux sens, ou du moins elle ne doit pas les blesser. La plupart de nos idées du beau nous viennent par la vue et par l’ouïe, et tous les arts, sans exception, s’adressent à l’ame par le corps. Un objet qui nous fait souffrir, fût-il le plus beau du monde, bien rarement nous paraît tel. La beauté n’a point de prise sur une ame occupée par la douleur.

Mais si une sensation agréable accompagne souvent l’idée de la beauté, il n’en faut pas conclure que l’une soit l’autre.

L’expérience prouve que toutes les choses agréables ne nous pa-