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raissent pas belles, et que parmi les choses agréables celles qui le sont le plus ne sont pas les plus belles : marque assurée que l’agréable n’est pas le beau, car si l’un est identique à l’autre, ils doivent toujours être proportionnés l’un à l’autre, et ils ne peuvent être séparés.

Or, tandis que tous nos sens nous donnent des sensations agréables, deux seulement ont le privilége d’éveiller en nous l’idée de la beauté. A-t-on jamais dit : Voilà une belle saveur, voilà une belle odeur ? Cependant on le devrait dire, si le beau est l’agréable. D’un autre côté, il est certains plaisirs de l’odorat et du goût qui ébranlent plus la sensibilité que les plus grandes beautés de la nature et de l’art, et même, parmi les perceptions de l’ouïe et de la vue, ce ne sont pas toujours les plus vives qui excitent le plus en nous l’idée de la beauté. Des tableaux d’un coloris médiocre, ceux de notre admirable Lesueur, par exemple, ne nous émeuvent-ils pas plus profondément que telles œuvres éblouissantes, plus séduisantes aux yeux, moins touchantes à l’ame ? Je dis plus : non-seulement la sensation ne produit pas l’idée du beau, mais quelquefois elle l’étouffe. Qu’un artiste se complaise dans la reproduction de formes voluptueuses, en agréant aux sens, il trouble, il révolte en nous l’idée chaste et pure de la beauté. L’agréable n’est donc pas la mesure du beau, puisqu’en certains cas il l’efface et le fait oublier ; il n’est donc pas le beau, puisqu’il se trouve, et au plus haut degré, où le beau n’est pas.

Ceci nous conduit au fondement essentiel de la distinction de l’idée du beau et de la sensation de l’agréable, à savoir la différence de la sensibilité et de la raison.

Quand un objet vous plaît, si l’on vous demande pourquoi, vous ne pouvez rien répondre sinon que telle est l’impression que vous éprouvez en ce moment ; et si on vous avertit que ce même objet produit sur d’autres une impression différente et leur déplaît, vous ne vous en étonnez pas beaucoup, parce que vous savez que la sensibilité est diverse, et qu’il ne faut pas disputer des sensations. En est-il de même lorsqu’un objet ne vous plaît pas seulement, mais lorsque vous jugez qu’il est beau ? Lorsque vous prononcez, par exemple, que cette figure est noble et belle, que ce lever ou ce coucher de soleil est beau, que le désintéressement et le dévouement sont beaux, que la vertu est belle, si l’on vous conteste la vérité de ces jugemens, alors vous n’êtes pas aussi accommodant que vous l’étiez tout à l’heure ; vous n’acceptez pas le dissentiment comme un effet inévitable de sensibilités différentes ; vous n’en appelez plus à votre sensibilité, qui naturellement se termine à vous ; vous en appelez à une autorité qui est faite