le principe, et de reconnaître que le jugement du beau est un jugement absolu, et, comme tel, radicalement différent de la sensation.
Enfin, et c’est ici le dernier écueil de la philosophie qui tire toutes nos idées des sens, n’y a-t-il en nous que l’idée d’une beauté imparfaite et finie, et en même temps que nous admirons les beautés réelles que nous présente la nature, ne nous élevons-nous pas à l’idée d’une beauté supérieure que Platon appelle excellemment l’idée du beau, et que, d’après lui, tous les hommes d’un goût délicat, tous les artistes appellent l’idéal ? Si nous établissons des degrés dans la beauté des choses, n’est-ce pas parce que nous les comparons, souvent sans nous en rendre compte, à cet idéal qui nous est la mesure et la règle de tous nos jugemens sur les beautés particulières ? Comment cette idée de la beauté absolue enveloppée dans tous nos jugemens sur le beau, comment cette beauté idéale, que nous ne pouvons réaliser, mais qu’il nous est impossible de ne pas concevoir, nous serait-elle révélée par la sensation, par une faculté variable et relative comme les objets qu’elle aperçoit ?
Après avoir distingué l’idée du beau de la sensation de l’agréable, nous pouvons aborder un phénomène d’un autre ordre, qui est attaché à l’idée du beau, et y tient par des liens si intimes, que les meilleurs juges l’ont très souvent confondu avec elle.
N’est-il pas certain qu’en même temps que vous jugez que tel ou tel objet est beau, vous sentez aussi sa beauté, c’est-à-dire que vous éprouvez à sa vue une émotion délicieuse, et que vous êtes attiré vers cet objet par un sentiment de sympathie et d’amour ? Dans d’autres cas, vous jugez autrement, et vous éprouvez un sentiment contraire à celui-là. L’aversion accompagne le jugement du laid, comme l’amour le jugement du beau.
Plus l’objet est beau, plus la jouissance qu’il procure à l’ame est vive, et l’amour profond sans être passionné. Dans l’admiration, le jugement domine, mais animé par le sentiment. L’admiration s’accroît-elle à ce point d’imprimer à l’ame un mouvement, une ardeur qui semblent excéder les limites de la nature humaine, ce degré suprême de l’admiration et de l’amour s’appelle l’enthousiasme.
La philosophie de la sensation n’explique le sentiment comme l’idée du beau qu’en le dénaturant : elle le confond avec la sensation agréable, et par conséquent pour elle l’amour de la beauté n’est que le désir. Il n’y a pas de théorie que les faits contredisent davantage.
D’abord l’émotion intime attachée à la perception du beau se dis-