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Lorsque la sensation, le jugement et le sentiment se sont produits en moi à l’occasion d’un objet extérieur, ils se reproduisent en l’absence même de cet objet ; c’est là la mémoire.

La mémoire est double : non-seulement je me souviens que j’ai été en présence d’un certain objet, ce qui me suggère l’idée du passé, mais encore je me représente cet objet absent tel qu’il était, tel que je l’ai vu, senti, jugé ; le souvenir est alors une image. Dans ce dernier cas, la mémoire a été appelée mémoire imaginative. C’est là le fond de l’imagination, mais l’imagination est plus encore.

L’esprit, s’appliquant aux images fournies par la mémoire, les décompose, choisit entre leurs traits différens, en forme des combinaisons et des images nouvelles. Sans ce nouveau pouvoir, l’imagination serait captive dans le cercle de la mémoire, tandis qu’elle doit disposer à son gré du passé et de l’avenir, du réel et du possible.

Le don d’être affecté fortement par les objets et de reproduire leurs images évanouies, et la puissance de modifier ces images pour en composer de nouvelles, épuisent-ils ce que les hommes appellent l’imagination ? Non, ou du moins, si ce sont bien là les élémens propres de l’imagination, il faut que quelque autre chose s’y ajoute et les féconde, à savoir le sentiment du beau en tout genre. C’est à ce foyer que s’allume et s’entretient la grande imagination. Suffisait-il à Corneille, pour faire Horace, d’avoir lu Tite-Live, de s’en représenter vivement plusieurs scènes, d’en saisir les principaux traits et de les combiner heureusement ? Il lui fallait en outre le sentiment, l’amour du beau, surtout du beau moral ; il lui fallait ce grand cœur d’où est sorti le mot du vieil Horace.

Maintenant il est assez clair qu’on ne peut borner l’imagination aux images proprement dites et aux idées qui se rapportent à des objets physiques, ainsi que le mot paraît l’exiger. Se rappeler des sons, choisir entre eux, les combiner pour en tirer des effets nouveaux, n’est-ce pas là aussi de l’imagination, bien que le son ne soit pas une image ? Le vrai musicien ne possède pas moins d’imagination que le peintre. On accorde au poète de l’imagination lorsqu’il retrace les images de la nature : lui refusera-t-on cette même faculté lorsqu’il retrace des sentimens ? Mais, outre les images et les sentimens, le poète ne fait-il pas emploi des hautes pensées de la justice, de la liberté, de la vertu, en un mot de toutes les idées morales ? Dira-t-on que dans ces peintures morales, dans ces tableaux de la vie intime de l’ame, ou gracieux ou énergiques, il n’y a pas d’imagination ?

Vous voyez quelle est l’étendue de l’imagination ; elle n’a point de