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et de Bossuet[1] ; mais tous deux auraient rougi, s’ils eussent surpris au fond de leur ame un autre dessein, un autre but que le service de la vérité et de la vertu.

L’histoire ne raconte pas pour raconter, elle ne peint pas pour peindre ; elle raconte et elle peint le passé pour qu’il soit la leçon vivante de l’avenir. Elle se propose d’instruire les générations nouvelles par l’expérience de celles qui les ont devancées, en mettant sous leurs yeux le tableau fidèle de grands et importans évènemens avec leurs causes et leurs effets, avec les desseins généraux et les passions particulières, avec les fautes, les vertus, les crimes qui se trouvent mêlés ensemble dans les choses humaines. Elle enseigne l’excellence de la prudence, du courage, des grandes pensées profondément méditées, constamment suivies, exécutées avec modération et avec force. Elle fait paraître la vanité des prétentions immodérées, la puissance de la sagesse et de la vertu, l’impuissance de la folie et du crime. Elle est une école de morale et de politique. Thucydide, Polybe et Tacite prétendent à tout autre chose qu’à procurer des émotions nouvelles à une curiosité oisive ou à une imagination blasée ; ils veulent sans doute intéresser et attacher, mais pour mieux instruire ; ils se portent ouvertement pour les maîtres des hommes d’état et les précepteurs du genre humain.

Le seul objet de l’art est le beau. L’art s’abandonne lui-même dès qu’il s’en écarte. Il est souvent contraint de faire des concessions aux circonstances, aux conditions extérieures qui lui sont imposées ; mais il faut toujours qu’il retienne une juste liberté. L’architecture et l’art des jardins sont les moins libres des arts libéraux ; ils ont à subir des gênes inévitables ; c’est au génie de l’artiste à dominer ces gênes et même à en tirer d’heureux effets, ainsi que le poète fait tourner l’esclavage du mètre et de la rime en une source de beautés inattendues. Une extrême liberté peut porter l’art au caprice qui le dégrade, comme aussi de trop lourdes chaînes l’écrasent. C’est tuer l’architecture que de la soumettre à la commodité, au comfort. L’architecte est-il obligé de subordonner la coupe générale et les proportions de son édifice à telle ou telle fin particulière qui lui est prescrite ? il se réfugie dans les détails, dans les frontons, dans les frises, dans toutes les parties qui n’ont pas l’utile pour objet spécial, et là il redevient vraiment artiste. La sculpture et la peinture, surtout la musique et la poésie, sont plus libres

  1. Il y a telle Provinciale qui, pour la véhémence et la vigueur, ne peut être comparée qu’aux Philippiques, et le fragment sur l’infini a la grandeur et la magnificence de Bossuet. Voyez notre écrit Des Pensées de Pascal, seconde édition, p. 276.