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que l’architecture et l’art des jardins. On peut aussi leur donner des entraves, mais elles s’en dégagent plus aisément : à ce titre ce sont les plus libéraux de tous les arts.

Semblables par leur but commun, tous les arts diffèrent par les effets particuliers qu’ils produisent, et par les procédés qu’ils emploient. Ils ne gagnent rien à échanger leurs moyens, et à confondre les limites qui les séparent. Je m’incline devant l’autorité de l’antiquité ; mais, peut-être faute d’habitude et par un reste de préjugé, j’ai de la peine à me représenter avec plaisir des statues composées de plusieurs métaux, surtout des statues peintes[1]. Sans prétendre que la sculpture n’ait pas jusqu’à un certain point son coloris, celui d’une matière parfaitement pure, celui surtout que la main du temps lui imprime, malgré toutes les séductions d’un grand talent contemporain[2], je goûte peu, je l’avoue, cet artifice qui s’efforce de donner au marbre la morbidezza de la peinture. La sculpture est une muse austère ; elle a ses graces à elle, mais qui ne sont celles d’aucun autre art. La vie de la couleur lui doit demeurer étrangère : il ne resterait plus qu’à vouloir lui communiquer le mouvement de la poésie et le vague de la musique ! Et celle-ci que gagnera-t-elle à viser au pittoresque, quand son domaine propre est le pathétique ? Donnez au plus savant symphoniste une tempête à rendre. Rien de plus facile à imiter que le sifflement des vents et le bruit du tonnerre ; mais par quelles combinaisons d’harmonie fera-t-il paraître aux yeux la lueur des éclairs déchirant tout à coup le voile de la nuit, et ce qu’il y a de plus formidable dans la tempête, le mouvement des flots qui tantôt s’élèvent comme une montagne, tantôt s’abaissent et semblent se précipiter dans des abîmes sans fond ? Si l’auditeur n’est pas averti du sujet, il ne le soupçonnera jamais, et je défie qu’il distingue une tempête d’une bataille. En dépit de la science et du génie, des sons ne peuvent peindre des formes. La musique bien conseillée se gardera de lutter contre l’impossible ; elle renoncera à figurer en détail le soulèvement et la chute des vagues et d’autres phénomènes semblables ; mais elle fera mieux : avec des sons, elle fera passer dans notre ame les sentimens qui se succèdent en nous pendant les scènes diverses de la tempête. C’est ainsi qu’Haydn deviendra le rival, le vainqueur même du peintre[3], parce qu’il a été donné à la musi-

  1. Voyez le Jupiter Olympien de M. Quatremère de Quincy.
  2. Allusion à la Madeleine de Canova.
  3. Voyez la Tempête d’Haydn, parmi les œuvres de piano de ce maître.