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Entre la sculpture et la musique, ces deux extrêmes opposés, est la peinture, presque aussi précise que l’une, presque aussi touchante que l’autre. Comme la sculpture, elle marque les formes visibles des objets, en y ajoutant la vie ; comme la musique, elle exprime les sentimens les plus profonds de l’ame, et elle les exprime tous. Dites-moi quel est le sentiment qui ne soit pas sur la palette du peintre ? Il a la nature entière à sa disposition, le monde physique et le monde moral, un cimetière, un paysage, un coucher de soleil, l’océan, les grandes scènes de la vie civile et religieuse, tous les êtres de la création, par-dessus tout le visage de l’homme, et son regard, ce vivant miroir de ce qui se passe dans l’ame. Plus pathétique que la sculpture, plus claire que la musique, la peinture s’élève, selon moi, au-dessus de toutes les deux, parce qu’elle exprime davantage la beauté sous toutes ses formes, l’ame humaine dans la richesse et la variété de ses sentimens.

Mais l’art par excellence, celui qui surpasse tous les autres parce qu’il est incomparablement le plus expressif, c’est la poésie.

    Considérations morales sur la destination des ouvrages de l’art, Paris, 1815, page 98.

    « Qu’on se rappelle ces chants si simples et si touchans qui terminent à Rome les solennités funèbres de ces trois jours que l’église destine particulièrement à l’expression de son deuil dans la dernière des semaines de la pénitence. C’est dans cette nef, où le génie de Michel-Ange a embrassé la durée des siècles, depuis les merveilles de la création jusqu’au dernier jugement, qui doit en détruire les œuvres, que se célèbrent, en présence du pontife romain, ces cérémonies nocturnes dont les rites, les symboles, les plaintives liturgies, semblent être autant de figures du mystère de douleur auxquels elles sont consacrées. La lumière décroissant par degrés, à chaque révolution de chaque prière, vous diriez qu’un voile funèbre s’étend peu à peu sous ces voûtes religieuses. Bientôt la lueur douteuse de la dernière lampe ne vous permet plus d’apercevoir dans le lointain que le Christ, au milieu des nuages, prononçant ses jugemens, et quelques anges exécuteurs de ses arrêts. Alors, du fond d’une tribune interdite aux regards profanes se fait entendre le psaume du roi pénitent, auquel trois des plus grands maîtres de l’art ont ajouté les modulations d’un chant simple et pathétique. Aucun instrument ne se mêle à ces accords. De simples concerts de voix exécutent cette musique ; mais ces voix semblent être celles des anges, et leur impression a pénétré jusqu’au fond de l’ame. »

    Nous avons cité ce beau morceau, et nous aurions pu en citer beaucoup d’autres, encore supérieurs à celui-là, d’un homme aujourd’hui oublié et presque toujours méconnu, mais que la postérité mettra à sa place. Indiquons du moins les dernières pages du même écrit sur la nécessité de laisser les ouvrages d’art dans le lieu pour lequel ils ont été faits, par exemple, le portrait de Mlle de La Vallière en Madeleine aux Carmélites, au lieu de le transporter et de l’exposer dans les appartemens de Versailles, « le seul lieu du monde, dit éloquemment M. Quatremère, qui ne devait jamais le revoir. »