Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/82

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

homme est né libre ! — Dieu a donné aux hommes des libertés égales et des droits égaux ! » A cela se joignaient des citations empruntées à la Bible, comme celle-ci : « Celui qui verse le sang de l’homme périra par la main de l’homme. »

Le cortége mit plusieurs heures à défiler ; à trois heures de l’après-midi, les premiers rangs arrivaient à la hauteur de la chambre des communes. Le volume de la pétition était tel, qu’il fallut la dérouler pour la faire passer par la porte de la salle. On la déposa sur le bureau ; mais ses longs anneaux, étendus sur le parquet, couvraient un espace immense. C’était bien la force brutale, la force du nombre prenant, dans l’enceinte du parlement, un corps et une voix.

La teneur de ce document faisait aussi peu d’honneur aux lumières de ceux qui l’avaient adopté qu’aux intentions de ceux qui l’avaient rédigé. Les pétitionnaires ne se bornaient pas à solliciter le suffrage universel, à se plaindre du système d’exclusion dont s’inspiraient tous les actes du parlement, ni à exposer l’état profond de misère dans lequel les classes laborieuses s’enfonçaient de jour en jour. C’était une protestation en forme contre toute espèce de propriété. Ils attaquaient ce qu’ils appelaient « le monopole du papier-monnaie, le monopole de la force mécanique, le monopole du sol, le monopole des moyens de transport ; » et pour couronner ces folles doctrines, ils attaquaient la légitimité de la dette publique. N’était-ce pas proposer, ainsi que le fit remarquer M. Maucaulay, un système universel de confiscation ? Et que pouvait-on imaginer de plus extravagant, dans un pays où la propriété est tout, que de vouloir qu’elle ne fût plus rien ?

Si la pétition n’eût embrassé que les cinq points de la charte, elle aurait trouvé des défenseurs dans la chambre des communes. La question du suffrage universel n’y était point nouvelle ; elle formait la base des opinions radicales, et dès 1780, le comité réformiste de Westminster professait ouvertement cette doctrine, à laquelle s’étaient ralliés plusieurs membres de l’aristocratie, entre autres le duc de Richmond ; mais les opinions monstrueuses avec lesquelles les chartistes avaient accouplé leurs théories ne permirent à personne d’épouser cette cause. Quarante-neuf membres demandèrent que l’on entendît les organes de leurs griefs à la barre de la chambre ; les, chartistes n’obtinrent pas d’autre marque de sympathie. M. Duncombe, en présentant la pétition, s’excusa presque du rôle qu’il prenait, faisant ouvertement allusion à ce qu’il y avait d’absurde, de sauvage et de chimérique dans cet exposé. Un autre radical, M. Fielden,