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et que l’augmentation ou tout au moins la bonne tenue des salaires était liée à la cause du suffrage universel. A dater de 1842, la politique de la multitude roule sur l’association de ces deux idées. Tout orateur qui réclame, dans le parlement ou ailleurs, une extension du droit électoral, prend pour argument la misère publique ; mais, dans la pensée des ouvriers, l’idée du suffrage est décidément subordonnée à l’idée du salaire : qu’on lise la résolution adoptée par ceux de Manchester, réunis, au nombre de trois ou quatre mille, dans la salle des charpentiers.


« Art. 1. Nous ne pouvons pas vivre au taux actuel des salaires, et nous sommes déterminés à ne plus travailler jusqu’à ce que nous ayons obtenu les prix de 1839.

« Art. 2. C’est l’opinion de l’assemblée que nos droits politiques sont impérieusement nécessaires pour maintenir nos salaires, quand nous les aurons conquis ; en conséquence, nous agirons de concert avec tous nos amis de toutes les professions, pour faire convertir en loi la charte du peuple, comme étant la seule garantie de ces droits. »


L’agitation ayant pris ce cours, les chartistes se mirent en contact avec l’organisation préexistante des unions, et la firent servir à une démonstration dont l’étendue était encore sans exemple. Je veux parler de la pétition présentée le 2 mai à la chambre des communes par M. Duncombe, et couverte de 3,317,702 signatures. Cette opération avait duré trois mois ; il avait fallu former six cents associations, et cent mille chefs de famille avaient long-temps retranché de leur salaire, pour subvenir à tous les frais, dix centimes par semaine.

La pétition fut présentée avec une grande pompe. La convention nationale, voulant donner une haute idée de son importance et se poser en pouvoir de l’état, avait mis ce jour-là tous les chartistes sur pied. La procession partit de Lincoln’s inn Fields, et traversa les rues de Londres, se dirigeant sur Westminster aux acclamations de la foule. La pétition ouvrait la marche, portée sur les épaules de seize hommes robustes, dont chacun représentait un corps de métier ; cet énorme document était orné de rubans, et annoncé par un placard sur lequel on lisait, en gros caractères, le nombre 3,317,702. Venaient ensuite divers emblèmes qui trahissaient les préoccupations réelles du peuple, et d’abord un drapeau noir sur lequel figurait cette inscription : « Le meurtre demande justice. 16 août 1819. » Le revers du drapeau représentait le massacre de Peterloo. Plus loin, des milliers de bannières se déployaient avec ces mots : « Nous voulons la justice avant la charité ! — La charte du peuple ! — Pas de transaction ! – Tout