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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/836

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En ce moment, on entendit la voix des ouvriers fondeurs qui retournaient au travail. Il ne paraît pas que ma chercheuse de trésors vécût avec eux dans la meilleure intelligence, car elle s’enfuit incontinent à travers les fourrés comme une laie relancée par les chiens. Je sus plus tard qu’un village arabe nommé Bogayrayra, ou par ellipse Bogaraya, s’élevait jadis sur la hauteur voisine, et que, détruit dans la guerre des Morisques, il avait laissé son nom au fleuve d’Andarax[1]. La pioche et la charrue en découvrent de temps en temps quelques vestiges ; il n’en faut pas davantage pour que la tradition populaire y place des trésors. Où n’en place-t-elle pas ?

Au-dessus du Rincon est le grand village de Padulès, bâti sur un sol inégal et rocailleux ; une belle plaine plantée d’oliviers s’étend à l’ouest, et c’est là sans doute que don Juan d’Autriche avait dressé son camp ; c’est là aussi qu’il reçut la soumission des tribus soulevées de l’Alpuxarra. Voici comment la chronique contemporaine raconte cet évènement. « Les commissaires chrétiens et morisques s’étaient abouchés au Fondon le vendredi 19 mai 1570. Parmi ces derniers se trouvait le propre frère d’Aben Aboo, Hernando et Galip, et son général de confiance Habaki. Il s’agissait de fixer les conditions de la capitulation générale et de s’entendre sur la reddition du pays. La journée se passa en récriminations, en disputes ; enfin l’on tomba d’accord, et, pour mieux fraterniser, on soupa le soir tous ensemble. Le lendemain, Habaki s’achemina vers Padulès avec Alonzo de Velasco, l’un des commissaires morisques, et une escorte de trois cents escopeteros. Les commissaires chrétiens, qui avaient pris les devans, les reçurent à la porte du camp, et les trois cents escopeteros mores, rangés sur cinq de front, furent placés au centre de quatre compagnies espagnoles commandées à cet effet pour les honorer ou les surveiller. Le cortége, ainsi composé, défila entre les troupes chrétiennes, infanterie et cavalerie, au bruit de la musique militaire et d’une salve de mousqueterie qui dura un quart d’heure. Don Juan était dans sa tente avec son état-major ; Habaki descendit de cheval à quelque distance, et se jetant aux pieds du jeune prince

« Miséricorde, seigneur, s’écria-t-il, que votre altesse nous fasse miséricorde au nom de sa majesté et nous accorde le pardon de nos fautes, que nous reconnaissons avoir été énormes. » Détachant alors un cimeterre qu’il portait à sa ceinture et montrant l’étendard d’Aben Aboo qu’il avait remis à Jean de Soto, secrétaire de don Juan : « Je rends à sa majesté, continua-t-il, cette bannière et ces armes au nom d’Aben Aboo et de tous les insurgés en vertu des pouvoirs que je tiens d’eux. » Jean de Soto jeta l’étendard du roi de l’Alpuxarra aux pieds de don Juan d’Autriche, et le jeune prince, ayant fait relever Habaki, lui rendit son cimeterre. « Gardez-le, lui dit-il avec beaucoup de grace et de sérénité, et usez-en désormais pour le service de sa majesté. » Les trois cents

  1. Il y a au Maroc, dans le pays de Tafilet, un puits nommé Aïn-Boharaya ou Bogaraya, et Caillé a trouvé un village mahométan du même nom dans l’intérieur de l’Afrique, à l’est de Sierra-Leone.