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l’ombre d’une ombre. Après la peinture assez vive encore d’Ilda et de Faustine, nons aurons leur sœur cadette, ou plutôt leur compagne vieillie, prétentieuse, ennuyeuse, Catherine Desmont.

Oui, Catherine Desmont est bien de la famille de Faustine. Elle a été mariée deux fois, en Allemagne d’abord, à M. de Meerheim, qu’elle a quitté au bout de quelques années, faute d’une sympathie suffisante, et puis en Angleterre, à lord Richard Desmont. C’est toujours, comme dans la Comtesse Faustine, la poursuite d’un idéal qui ne se rencontre guère. D’ailleurs, qu’il se rencontre ou non, peu importe ; tout se passe le plus commodément du monde dans le pays de Cocagne découvert par Mme Hahn-Hahn. On essaie une première union ; l’essai ne réussit pas ; qu’à cela ne tienne ! Pourquoi se désespérer ? pourquoi surtout discipliner son cœur et régler les mouvemens inquiets de la passion ? Il y a un remède tout simple ; le mariage est rompu, et le lendemain on peut recommencer une nouvelle expérience. A coup sûr, Mme la comtesse Hahn-Hahn n’a jamais lu les lois de son pays, car je ne voudrais pas croire, au contraire, qu’elle les connaît trop bien, et qu’elle se réfugie dans une société imaginaire, pour échapper aux dures conditions de la vie. Il est arrivé à plus d’un poète de prendre ses désirs pour la réalité, et de présenter comme un tableau de ce qui existe le programme des réformes qu’il a imaginées pour l’avenir. Quand Rabelais fondait dans le royaume d’Utopie sa plaisante abbaye de Thélême, c’était à la fois une vive satire et l’expression joyeuse de ses goûts pantagruéliques. Mme la comtesse Hahn-Hahn a fondé, je le crains, une abbaye de Thélême pour les nobles dames de l’aristocratie allemande. La règle est celle de frère Jean des Entomeures : Fais ce que tu voudras. À cette prescription rigoureuse, les héroïnes de Mme Hahn-Hahn demeureront toujours fidèles. Et non-seulement elle a tracé sur la porte l’inscription fameuse, mais elle a fini par se persuader que les choses, en effet, se passaient ainsi ; c’est très sérieusement que l’auteur nous raconte ces mœurs fabuleuses, ces mariages rompus sans obstacle, ces divorces qu’il est permis de conclure en un instant, d’un seul signe de tête, d’un seul mot, comme l’on refuse un dîner ou une partie de chasse, comme l’on prend congé ou comme l’on signe une lettre. Une formule toute simple, il n’en faut pas davantage. En vérité, c’est trop de candeur. Sans doute, il est permis au poète, si poète il y a, de nous transporter comme Jean-Paul dans un monde à demi fantastique ; mais Jean-Paul est-il dupe de son imagination, et le rêveur enthousiaste écrirait-il sur la première page de ses livres ces mots prosaïques