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finir à minuit, et il reprendra demain avec une régularité parfaite. Le roman et le thé continuent ainsi pendant plusieurs semaines ; quand l’auteur aura écrit deux volumes, il s’arrêtera ; cependant rien ne l’y oblige, et il faut lui en savoir gré. Or, dans ce salon, dont l’auteur nous donne la chronique, un personnage indispensable, c’est celui de la jeune femme capricieuse, fantasque, dont l’aventureuse parole soulève à chaque instant les questions les plus graves, l’amour, le mariage, la religion, et les résout cavalièrement. Je crains bien que Mme d’Arnim n’ait donné à Mme la comtesse Hahn-Hahn le modèle de ses héroïnes ; je crains bien que les correspondances si vives, si enthousiastes, de l’ardente amie du poète de M. Weimar, de la sœur de Clément de Brentano, de la veuve du mystique Arnim, n’aient tenté la plume beaucoup moins riche de Mme Hahn-Hahn. Sans doute Mme Hahn-Hahn ne donne pas à ses personnages l’entrain audacieux, les allures prophétiques de Bettina ; elle est beaucoup moins jeune Allemagne ; c’est l’esprit patricien qui l’anime. L’impétuosité démocratique qui a dicté ce livre fameux qui appartient au roi ne conviendrait guère aux ducs et aux duchesses que Mme Hahn-Hahn invite à ses réunions, dans les riches domaines d’Ilda Schoenholm. Il n’est même pas impossible que Mme Hahn-Hahn ait voulu tenter une contre-partie de Bettina, et donner à l’aristocratie ses brillantes sibylles, ses prophétesses inspirées. Pourtant, on ne peut le nier, en luttant avec Bettina, l’auteur de la Comtesse Faustine a été amenée à lui dérober ses formes lyriques, ses méditations philosophiques, amoureuses, sociales, toute sa fantasmagorie ; mais ce qui est souvent plein de charme dans les correspondances de Bettina devient intolérable dans un récit. Et puis Mme d’Arnim n’a-t-elle pas pour elle le prestige des souvenirs ? Goethe, Clément de Brentano, Achim Arnim, Caroline de Günderode, voilà certes de beaux noms. Que Mme d’Arnim arrange trop souvent et défigure ses personnages, qu’elle se substitue sans façon à ses héros, c’est là, je le sais bien, le défaut de ses livres ; cependant ces noms glorieux la protégent, et l’attrait des souvenirs qu’elle évoque vient en aide à sa fantaisie. Les confidences de Goethe, si apprêtées qu’elles puissent être, nous attireront plus que les lettres de Polydore, et la comtesse Faustine vaudra-t-elle jamais cette noble et malheureuse Caroline de Günderode ? Ce n’est pas tout : voici encore un inconvénient. Puisque Mme Hahn-Hahn imite Mme d’Arnim, ces héroïnes factices qu’elle met en scène seront bien vite épuisées ; l’épreuve, en se reproduisant, pâlira. Faustine n’était qu’un reflet ; que sera-ce que le reflet de Faustine ?