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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/871

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nouvelle de l’auteur. N’êtes-vous pas bien las en effet de cette héroïne inévitable, de cette jeune femme, poète ou peintre, que Mme la comtesse Hahn-Hahn imagine si brillante, si fêtée, si supérieure à ce qui l’approche et surtout à son lecteur ? Cette fois elle a disparu. Rassurons-nous ; voici de nouveaux visages. Nous rencontrerons bien Ilda Schoenholm, mais ce sera dans un épisode. Le héros du livre de Mme Hahn-Hahn, ce n’est plus, Dieu merci, cette prétentieuse comtesse dont le portrait sans cesse reproduit allait s’effaçant sur son pastel ; c’est un gentilhomme, c’est Ulric, M. le comte Ulric Erbert.

Ulric est une ame passionnée. Il est facile de lire sur son front, déjà sillonné de rides, qu’il a été éprouvé par de sérieuses douleurs. Malgré la distinction parfaite de sa personne, on sent, à son approche, les traces de l’orage qui a passé sur lui. C’est ainsi qu’il apparaît à sa cousine, à la jeune comtesse Unica Erbert, quand il vient l’épouser. Unica est une gracieuse enfant, douce, aimable, et le comte Ulric espère trouver auprès d’elle ce calme après lequel il aspire. Son ame, qui s’est dévouée si ardemment, se reposera dans un attachement plus tranquille, dans un bonheur égal et sans secousses. Devenu incapable d’aimer comme il a aimé jadis, il consacrera à une affection fraternelle les forces épuisées de son cœur. Mais voyez l’imprudence du comte Ulric ! Suivez-le sous les grands arbres du parc, quand il se promène tout seul avec la fraîche jeune fille qui sera demain sa femme, et écoutez comme il lui expose naïvement la douloureuse situation de son ame : « Je ne t’aimerai pas, ô ma fiancée ! Comment pourrais-je t’aimer ? mon cœur a trop souffert, etc… » Voilà, certes, une idée plaisante. Pour un gentilhomme qui sait si bien le monde et qu’une cruelle expérience a tant instruit, c’est là une gaucherie un peu trop germanique. « Il m’aimera, répond tout bas Unica, il faudra bien qu’il m’aime ; » et voilà la fierté de la jeune fille qui se révolte. Puis la vanité s’en mêle. Unica était d’abord résolue à ne pas épouser le comte Ulric ; elle le trouvait trop ténébreux, trop mélancolique, et, s’il faut le dire, trop laid. Elle avait déjà refusé très nettement de souscrire aux vœux de son père ; mais dès qu’elle sait que le comte Ulric ne peut l’aimer, la voilà décidée à accepter sa main. C’est une lutte qui s’engage. Unica veut être aimée follement, ardemment, comme ces mystérieuses rivales qui lui ont dérobé d’avance le cœur de son mari.

Le mariage est célébré ; Unica a épousé Ulric. Le soir même, quand le comte Ulric entre dans la chambre de sa femme, il la trouve tout habillée et comme prête à sortir. « Qu’est-ce que cela ? Que voulez-vous ?…