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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/872

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Je veux que vous me laissiez seule, » dit la jeune femme. Elle a juré que son mari viendrait un jour, en suppliant, frapper à cette porte qui lui est interdite ; ce n’est que l’amant passionné qui entrera chez elle. « Oui, je sortirai, dit Ulric ; mais souvenez-vous-en, madame, si je passe aujourd’hui le seuil de cette chambre, je n’y rentrerai jamais. Vous êtes veuve dès ce soir. » La lutte, comme on le voit, s’ouvre avec vivacité, et les périlleux détails que ne redoute pas Mme Hahn-Hahn donnent à ce début une hardiesse cavalière qui marque nettement, il faut l’avouer, les situations du livre. Par malheur, cette netteté ne dure guère, et surtout le sujet perd bientôt l’intérêt élevé qu’il eût pu conserver entre des mains plus habiles. Qu’une jeune fille s’indigne en apprenant que son mari l’épouse pour calmer son ame épuisée par d’orageuses passions, qu’elle refuse de s’abandonner vulgairement, qu’elle exige un amour dévoué de l’homme qui a osé lui faire des confessions si étranges, c’est là, je l’accorde, une situation dramatique et qui peut offrir au romancier une féconde étude ; mais on voit trop, dès le début, qu’il y a plus de vanité puérile que de dignité sérieuse dans la révolte de la jeune femme. A qui pourrai-je m’intéresser ? à Ulric, dont l’orgueil ou l’inexpérience (je n’en sais rien encore) est venu troubler le repos de sa fiancée par la nudité de ses aveux ? à Unica, qui cède puérilement à un caprice, quand ce caprice eût dû être le noble mouvement d’un cœur fier ? J’ai bien peur que le développement d’une action ainsi engagée n’amène autre chose que des caquetages indignes de l’art et de la poésie.

Quel est cependant ce mystérieux et terrible amour qui a dévasté l’ame d’Ulric ? Il le dira lui-même à sa jeune femme, car Ulric et Unica continuent de vivre, aux yeux du monde, comme si rien n’avait rompu leurs liens, et nul ne soupçonne la bizarre situation des deux époux. D’ailleurs, Unica aime Ulric avec passion ; elle poursuit résolument son dessein ; elle croit, elle espère ; elle attend l’heure où Ulric lui dira qu’il l’aime. Aussi, voyez comme elle l’entoure de mille prévenances ! et quelles angoisses à chaque instant ! quelle promptitude à découvrir dans un signe, dans un mot, l’état de son ame ! Hélas ! Ulric ne remarque rien, et un jour il raconte à Unica l’histoire de cette ardente passion qui l’a dévoré. La femme qu’il a aimée s’appelle Mélusine. Il l’avait rencontrée en Italie, et, à sa tristesse, au caractère pur et sinistre de sa beauté, elle lui est apparue comme une de ces figures sublimes marquées par le destin. Mélusine a résisté long-temps à l’amour d’Ulric ; elle l’a écarté avec sollicitude, avec effroi, comme on détourne un aveugle d’un chemin qui conduit à un abîme.