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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/88

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propriété, le franc tenancier à 40 shillings de revenu, demeure inaccessible à ces influences ; personne n’oserait lui demander compte de son vote, tandis que le vote du simple tenancier est considéré comme appartenant naturellement à celui qui possède le sol[1].

On le voit, l’acte de réforme a peut-être étendu les droits politiques au-delà de ce que comportait l’état social de l’Angleterre. Le parlement a fait des lois démocratiques pour un pays où la démocratie n’existe pas. Il en est résulté que l’influence aristocratique a changé de caractère : elle s’exerçait auparavant d’une manière directe sur un corps électoral peu nombreux ; elle s’exerce aujourd’hui par des voies détournées sur les multitudes admises aux droits politiques. L’oppression a fait place à la corruption. Le suffrage universel tournerait probablement encore à l’avantage des grands propriétaires et des grands capitalistes, si l’Angleterre avait un parlement assez insensé pour le décréter.

Il ne faut pas confondre la liberté avec l’exercice des droits politiques. Les radicaux anglais considèrent comme des esclaves tous les citoyens qui ne concourent pas à élire les membres du parlement. C’est là une exagération faite à plaisir. Il y a dans toute société des personnes que leur âge, leur sexe ou leur condition tiendront perpétuellement éloignées des affaires publiques. La politique a ses mineurs comme la famille, dans l’intérêt desquels les plus avancés en âge et les plus expérimentés seront toujours chargés de stipuler. La liberté est un droit, le suffrage est une fonction. La liberté appartient à tous, le suffrage n’appartient qu’à ceux qui peuvent se prononcer en connaissance de cause et dans l’indépendance de leur jugement : d’où il suit que le nombre des électeurs se proportionne naturellement à l’état de la société ; ce n’est pas une question de principe, c’est une simple question de fait.

Les garanties de lumières et d’indépendance qui sont le véritable titre aux fonctions électorales se rencontrent-elles communément dans la classe des hommes qui vivent uniquement de leur travail ? Voilà toute la difficulté. Quand on la supposerait dès à présent résolue en leur faveur, cette solution ne pourrait pas encore s’appliquer à l’Angleterre. Je conçois qu’aux États-Unis, l’ouvrier soit investi du droit de voter dans les élections ; car il obtient des salaires élevés, et vivant à bon marché, il peut faire des épargnes en argent et en temps, cultiver son esprit et employer ses loisirs. Dans les îles britanniques,

  1. Lord Wortley, Speech on the ballot.