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l’élévation du salaire ne procure à l’ouvrier aucun de ces avantages, car elle est annulée par la cherté de toutes choses, et par la nécessité, qui s’impose au plus misérable, d’avoir toujours l’argent à la main. L’ouvrier anglais est celui qui a le plus de besoins, et qui peut le moins les satisfaire. De là l’état profond de dépendance dans lequel nous le voyons plongé. La richesse du salaire combinée avec la cherté de la vie dans un pays où le petit nombre possède, voilà, indépendamment de toute autre cause, ce qui rend impossible en Angleterre l’existence de la démocratie.

La Grande-Bretagne était déjà une nation aristocratique par ses institutions, par les mœurs de ses habitans, par la concentration des propriétés et des capitaux ; elle le devient chaque jour davantage par les conditions de cherté qui s’attachent à l’existence dans cette contrée. Le pain est cher, le logement est cher, le service est cher, tout est cher. Il en coûte beaucoup pour se procurer le nécessaire ; il en coûte encore plus pour avoir le bien-être et pour tenir pied aux raffinemens de l’étiquette. On comprendra les progrès et en même temps les exigences du luxe britannique, en voyant que les taxes somptuaires, qui n’ont jamais rien produit en France, les taxes sur les domestiques, sur les voitures, sur les chevaux, sur les chiens et sur les armoiries, ont rapporté à l’Échiquier, en 1841, plus de 80 millions de francs. Aussi les familles qui ont une fortune médiocre ne peuvent pas vivre dans la Grande-Bretagne ; elles viennent chercher sur le continent de l’Europe une vie plus facile et des usages moins rigoureux. Quant aux pauvres gens, le climat de cette société leur est tout-à-fait mortel. L’Angleterre d’aujourd’hui rappelle, à certains égards, l’aspect de l’Italie pendant la décadence de l’empire romain, alors que la terre convertie en jardins ne nourrissait plus que des patriciens et des esclaves.

Les économistes et le gouvernement lui-même[1] ont cherché la cause du malaise dans l’accroissement de la population. Le problème se posera quelque jour peut-être ; mais aujourd’hui il semble prématuré de l’agiter. Malthus est venu un siècle trop tôt. Que veulent dire en effet les économistes, quand ils parlent de l’excès de la population ? Cela signifie apparemment que le nombre des habitans n’est plus en rapport avec les moyens de subsistance, que la société ne peut ni produire, ni se procurer, au moyen des échanges, la somme d’alimens, de vêtemens, etc., qui lui est nécessaire ; en un mot, que le

  1. Sir Robert Peel’s speech, on the state of the country, 11 august 1844.