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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/880

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Si l’on a le loisir pourtant d’examiner de plus près et d’entrer dans le golfe même, si l’on approche, pour le mieux étudier, de ce qu’on admire, si l’on compare avec les monumens les plus connus et les mieux situés ceux qu’ils nous masquaient trop aisément, les œuvres plus reculées et de moindre renom dont les dernières venues ont profité jusqu’à les faire oublier, et dont il semble qu’elles dispensent, mille réflexions naissent ; les dernières œuvres qui se trouvent pour nous autres modernes les premières en vue, et qui restent les plus apparentes, n’y perdent pas toujours dans notre esprit ; mais on les comprend mieux dans leur formation et leur mérite propre. On voit ce que cette perfection si simple d’ensemble et, en quelque sorte, définitive, a dû coûter d’études, d’efforts, d’épreuves successives et plus ou moins approchantes, avant de se fondre ainsi comme d’un seul jet et de se rassembler d’une ligne harmonieuse sous le regard. Et pour ce qui est de la Didon de Virgile en particulier, à laquelle tout ceci a trait et se rapporte, on se rend mieux compte alors de ces qualités souveraines qui assurent la vie aux œuvres de l’art dans les époques d’entière culture, à savoir, la composition, l’unité d’intérêt et un achèvement heureux de l’ensemble et des parties. Les productions antérieures dont Virgile a profité dans sa Didon manquent trop de cet ensemble et de cette conduite qui ménage en tout point le charme ; ce n’est pas à dire qu’elles ne méritent pas d’être plus connues, et de vivre dans la mémoire plus près du chef-d’œuvre auquel elles ont puissamment aidé.

La Didon de Virgile est une imitation combinée, car Virgile aime d’ordinaire à combiner ses imitations pour mieux laisser jour dans l’entre-deux à son originalité. Il se comporte en cela comme ces rois habiles qui ont soin de se choisir plusieurs alliés, afin de ne se trouver à la merci d’aucun. Il s’est donc à la fois inspiré, en concevant sa belle reine, et de l’Ariane de Catulle et de la Médée d’Apollonius de Rhodes. Il s’est surtout souvenu d’Ariane dans les imprécations finales, et de Médée dans la peinture des préambules de la passion. L’Ariane de Catulle peut aisément s’apprécier et faire valoir ses droits ; mais il me semble qu’on n’a pas rendu assez justice à la Médée d’Apollonius, frappée d’une sorte de défaveur et d’oubli, et comme entourée d’une ombre funeste. Virgile l’avait très présente à la pensée et lui doit beaucoup ; elle ne le cède en rien à Didon (si même elle ne la surpasse point) pour tout le premier acte de la passion, et ce n’est que dans le tramant de la terminaison et par le prolongement d’une destinée dont on sait trop la suite odieuse, qu’elle perd de ses avantages. On dit